Page:Feuerbach - Essence du Christianisme, 1864.pdf/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
essence du christianisme

n’est pas un être ayant la faculté de voir qui a fait l’œil ; si déjà il voit, pourquoi le ſerait-il ? Non ! ce n’est qu’un être qui ne voit pas qui a besoin d’yeux. Nous sommes tous venus dans le monde sans connaissance et sans volonté, mais nous y sommes venus afin qu’il y eût dans le monde connaissance et volonté. Le monde provient donc d’un besoin, d’une nécessité, mais non pas d’une nécessité ayant sa source dans un autre être, dans un être différent, — ce qui est une pure contradiction ; — il provient de sa propre nécessité, de la nécessité de la nécessité, parce que sans le monde il n’y aurait point de nécessité et par conséquent point de raison, point d’intelligence. Ainsi c’est la négativité, comme s’expriment les philosophes spéculatifs, c’est le néant qui est le fondement de l’univers, mais un néant qui se détruit lui-même, un néant qui existerait per impossibile si le monde n’existait pas. C’est d’un besoin, d’un manque que provient l’existence en général ; mais c’est une fausse spéculation que de faire de ce manque un être ontologique, un Dieu, car ce manque n’existe que dans la supposition que rien n’existe. L’univers ne provient que de lui-même et est par lui-même nécessaire ; mais sa nécessité n’est que la nécessité de la raison. La raison en tant qu’elle embrasse toutes les réalités — car que sont toutes les splendeurs de l’univers sans la lumière et qu’est la lumière extérieure sans la lumière intérieure — la raison est l’être le plus indispensable, le besoin le plus essentiel et le plus profond. La raison est l’existence qui a conscience d’elle-même ; en elle se révèlent le but et la signification des choses ; elle est l’être se considérant lui-même comme son propre but, comme le but final de tout. Ce qui est