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s’étonner si, pour se faire écouter, il a recours aux moyens les plus insensés, les plus désespérés ; si, pour se rendre la nature propice, il se dépouille de tout ce qu’il possède ; si, pour lui inspirer des sentiments humains, il verse le sang de l’homme lui-même. Les Germains du Nord croyaient que des sacrifices sanglants pouvaient donner le sentiment et la parole à des idoles de bois, et faire rendre des oracles aux pierres consacrées sur lesquelles le sacrifice s’opérait. Mais tous les efforts pour animer ce qui ne vit pas sont inutiles ; la nature ne répond pas aux plaintes et aux questions de l’homme, elle le renvoie à lui-même impitoyablement.

XXXI

De même que les bornes que l’homme, au point de vue de la religion, attribue à sa nature, comme par exemple l’impossibilité de connaître l’avenir, de vivre éternellement, d’être toujours heureux, de vivre à la manière des anges sans aucun penchant sensuel, en un mot l’impossibilité de réaliser tout ce qu’on désire ; de même que ces bornes n’existent que dans l’imagination ou la fantaisie, et ne sont pas des bornes véritables, réelles, parce qu’elles ont leur fondement dans l’être lui-même, dans la nature des choses, de même l’être infini, illimité, n’est qu’un produit de l’imagination et du sentiment gouverné par elle. Tout ce qui est objet de l’adoration religieuse, que ce soit un caillou ou un escargot, n’a de valeur que dans la fantaisie ; aussi peut-on affirmer que les hommes n’adorent pas les pierres, les arbres, les animaux, les fleurs pour eux-mêmes, mais seulement les dieux, les manitous,