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LA RELIGION

l’humanité que repose la nécessité de l’existence de Dieu. Dieu est ce que les hommes ne sont pas, — du moins pas tous, — du moins pas toujours, — mais ce qu’ils devraient être. Dieu prend sur lui les fautes des hommes, il est leur remplaçant, il les dispense du devoir d’être les uns par rapport aux autres ce qu’il est à leur place. S’il est en effet un être qui répare les maux que je fais aux autres, ou que je laisse subsister en raison de ma confiance en un dédommagement divin, pourquoi chercherais-je à les empêcher ou à les détruire par mes propres forces ? Dieu est la consolation du malheur, de la pauvreté, mais aussi la sécurité de l’abondance et du superflu ; l’aumône du mendiant, mais aussi l’hypothèque de l’usurier ; le lieu de refuge des persécutés, mais aussi le rempart des persécuteurs, qu’ils le soient justement ou injustement, directement ou indirectement. Bien sûr la religion est consolante pour moi, mais très-peu pour les autres ; car elle m’apprend à supporter avec une patience chrétienne non seulement mes propres maux, mais encore ceux d’autrui, et surtout quand je crois, comme doit le croire un chrétien, que les malheurs de l’homme sont la volonté de Dieu, des épreuves qu’il nous envoie pour notre salut. Où serait mon droit à ne pas vouloir ce que Dieu veut ? Le plus mauvais compliment qu’on puisse faire à la religion lui est donc fait par les politiques lorsqu’ils soutiennent que sans elle aucun État n’a jamais pu et ne pourra jamais subsister. En effet jusqu’ici, dans tout État conforme à l’idée que se font de l’État les politiques ordinaires qui prennent le statu quo pour le non plus ultra de la nature humaine, le droit s’est toujours appuyé sur l’iniquité, la liberté