Page:Feuerbach - La Religion,1864.pdf/257

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un autre monde ; mais si sa croyance était d’abord fondée sur le besoin, la misère et la limitation des choses, elle est désormais sans fondement et sans nécessité ; elle n’est qu’une croyance de luxe. L’homme conserve en général, même dans le développement de la civilisation, les restes de sa barbarie première et se fait même un scrupule de conscience de les détruire entièrement. Ces restes sacrés, ce fidéi-commis de grossièretés et de superstitions originelles qui passe comme un héritage d’une génération à l’autre, c’est là la religion qui, comme l’histoire le prouve, n’est pas autre chose chez tous les peuples civilisés que l’idolâtrie du passé, que la piété envers les idées et les usages d’autrefois. Le progrès, pour la religion comme pour tout le reste, a toujours consisté, du moins jusqu’ici, en ce que l’on a épuré et accommodé à la civilisation les idées et les coutumes en les débarrassant des superstitions par trop grossières qui pouvaient blesser les esprits cultivés ; mais la chose principale, le fondement, l’être même de la religion est resté inattaqué. Ainsi le christianisme a aboli les sacrifices sanglants, mais il a mis à leur place le sacrifice humain psychologique. Le chrétien ne fait plus à son Dieu le sacrifice de son corps, du moins d’une manière violente, mais en revanche, il lui sacrifie son âme, ses inclinations, ses sentiments et son intelligence. Les chrétiens modernes refusent depuis longtemps à leur Dieu tous les effets de puissance dits immédiats, tels que les miracles, c’est-à-dire tous les signes et toutes les preuves de son existence qui blessent la raison ; néanmoins ils n’attaquent pas son existence réelle, ils se contentent de la faire reculer aussi loin que possible, à l’origine de l’univers, à l’ori-