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LA RELIGION

sans individualité, comme, par exemple, les minéraux. Si Dieu n’explique que l’existence d’êtres qui le connaissent et l’aiment et non celle des autres, il ne peut pas non plus être connu et expliqué par eux. Au fond, l’admiration de la puissance, de la sagesse et de la bonté surnaturelles n’était que l’admiration des objets eux-mêmes, attachée subjectivement dans l’esprit du contemplateur à l’idée religieuse, mais pouvant être ressentie sans elle. Et parce qu’entre l’objet de l’admiration et les attributs divins il n’y avait pas de rapports nécessaires, l’idée de ces attributs en se mêlant à l’étude avait pour résultat de détourner l’esprit de la réalité, d’ôter à l’objet, en le rabaissant au rang de créature, le seul intérêt qu’il puisse avoir pour la science. Quelque distingués que fussent, à leur manière, les naturalistes des derniers siècles, quelque infatigables dans leur zèle, quelque ingénieux dans leurs recherches et dans leurs moyens d’épier les secrets des choses, ils n’en étaient pas moins complètement bornés, car le sens profond de l’universel leur manquait. La théologie avec sa foi aux miracles, avec son idée d’un être personnel existant en dehors et au-dessus du monde et le gouvernant comme une machine selon son bon plaisir, avait rendu l’humanité étrangère à la nature, lui avait ravi la faculté de se penser, de se sentir en elle. Ce qui attirait en effet la plupart des savants à l’étude de la nature, ce n’était pas le désir d’entrer, pour ainsi dire, dans leur patrie, le pressentiment de sa parenté avec leur propre être, mais la surprise, l’étonnement en face de son essence énigmatique ; ce n’était pas une admiration profonde, mais une simple curiosité ; aussi leur attention ne s’attacha-