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LA RELIGION

t-elle à la fin qu’aux bizarreries. Ce que le monde était pour leur Dieu, il le fut pour eux, une machine pure. L’idée de ce Dieu théologique était la frontière de leur esprit ; ils voyaient partout un arrangement préconçu, un plan, un ordre tout extérieur et dénué d’âme et de vie. De cette époque date la sentence : « Aucun esprit sensé ne peut pénétrer dans le sein de la nature ; trop heureux celui à qui elle montre seulement son écorce. » Rob. Boyle et Christ. Sturm voulaient même bannir son nom comme une fiction païenne[1].

Déjà cependant l’esprit éprouvait une certaine joie à contempler les choses ; l’homme ne levait plus seulement ses regards vers le ciel ; ses yeux étaient ravis des trésors de la terre et bien des poésies pieuses s’égaraient jusqu’à les célébrer ; mais toujours au milieu de ses joies contemplatives l’homme était ressaisi par un frisson théologique qui le ramenait de ce monde à l’autre. Cette scission, ce dualisme entre le ciel et la terre produisirent un effet original. La dualité est mère de la pluralité, et la théologie, gagnant en extension à mesure que son esprit perdait en intensité, se scinda en une foule de théologies spéciales. Le savant et crédule naturaliste Athan. Kircher (+ 1680), un jésuite, ne compta pas moins de 6561 preuves de l’existence de Dieu. Bientôt il n’y eut plus de règne naturel qui ne donnât lieu à une théologie particulière. On eut une astrothéologie, une lithothéologie, une petinothéologie, une insectothéologie. Les espèces d’animaux particulières eurent aussi la leur. En 1748, des foules innombrables de sauterelles ayant fait invasion dans le

  1. Voir appendix no 2.