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LA RELIGION

donnèrent, il est vrai, rejetèrent même, comme témoignage d’une audace effrontée, toute tentative de scruter les desseins de Dieu en particulier ; ils sentaient plutôt, comme Bacon et Descartes, l’inutilité de ces recherches. Malgré tout, l’idée d’un plan extérieur, d’une conformité à un but dans les choses naturelles, était une forme de leur esprit dont ils n’avaient pu se débarrasser. Même le digne Réaumur, incontestablement un des penseurs les plus libres de la première moitié du dix-huitième siècle, qui, dans ses études, s’était placé au vrai point de vue objectif, qui osait dire : « Il y a assurément des fins particulières que nous connaissons ; mais il y en a peut-être beaucoup moins que nous pensons » et qui le prouvait, même Réaumur était pris dans les mailles du concept théologique. La sagesse, l’intelligence de Dieu n’étant comprises que dans un sens subjectif, que d’après l’analogie avec l’intelligence humaine pratique qui se sert des choses dans un but qui leur est complètement indifférent, l’homme ne sortait jamais de lui-même et restait par conséquent en dehors de la nature. Le matérialisme, le mécanisme, l’occasionalisme étaient les conséquences nécessaires de cette manière de voir ; tout esprit, toute vie, toute raison se perdant dans l’idée de Dieu qui n’était pas encore pensé d’une manière spirituelle, rationnelle et vivante, tout regard profond dans les choses, comme, par exemple, ce mot d’Hippocrate, que la nature trouve sans jugement les moyens les plus courts pour arriver à ses fins, passait pour hérésie, paganisme ou athéisme. Ici, comme dans toutes les sphères, le Dieu avait repoussé le divin. Giordano Bruno et Spinosa étaient les seuls qui eussent une idée de la vraie vie intime du monde.