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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ainsi péniblement, lentement et d’étape en étape, ce long développement historique des religions successives n’est point autre chose qu’une connaissance de plus en plus approfondie, qu’une étude de plus en plus élargie et enrichie, que l’homme fait de sa nature essentielle. Chacune aussi, après avoir lancé l’exécration et la proscription contre celle dont elle a pris la place historique, croit fermement que le triste sort des religions précédentes ne sera jamais le sien, parce que son objet diffère un peu de ceux des autres. Mais, hélas ! elle est à son tour irrévocablement condamnée, condamnée d’avance, de subir cette illusion fantasmagorique qui constitue la vraie nature de la religion en général : elle aussi doit se courber sous les lois éternelles qui régissent celle-ci. Il n’a été donné qu’au penseur, de jeter le regard pénétrant de l’intelligence philosophique sur les religions et de dévoiler leur essence secrète, leur nature intérieure et mystérieuse, dont elles-mêmes, je l’ai expliqué plus haut, n’ont jamais pu avoir conscience ; si — par impossible — une religion avait conscience d’elle-même, elle cesserait sur-le-champ d’être religion.

« Les perfections de Dieu dit Leibnitz dans la préface de sa Théodicée, sont celles de nos âmes, mais il les possède sans bornes… il y a en nous quelque puissance, quelque connaissance, quelque bonté, mais elles sont toutes et entières en Dieu. »

Grégoire de Nysse (édit. Krabinger. Leipz. 1837, p. 43) dit Nihil in anima, etc. « Nous croyons qu’il n’y a rien de grand, de sublime dans nos âmes, qui ne soit aussi la propriété de la nature divine ; tout ce qu’il y a d’étrange ou de contraire à Dieu n’entre point dans la définition de l’âme, » Quidquid a Deo alienum, extra definitionem animae, et Clément d’Alexandrie (paed. 3, 1) va plus loin encore, en disant hardiment plus : « La plus élevée, la plus belle de toutes les sciences c’est donc de se connaître soi-même : si quelqu’un se connaît lui-même, il connaîtra Dieu. » Si quis enim se ipsum novit, Deum cognoscet.

La religion chrétienne ne tient pas beaucoup aux attributs dont elle entoure son Être suprême, elle permet même d’assez bonne grâce de les nier comme divins et de les appeler des attributs humains ; mais elle est toujours prête de foudroyer l’anathème et l’accusation d’irréligiosité et d’athéisme contre celui qui oserait nier le sujet de ces mêmes attributs. Elle ne veut pas qu’on nie le sujet