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Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/129

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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

comme divin, mais pourquoi nous a-t-elle permis d’effacer les attributs divins ? Ne sait-elle donc pas que, détruire tous les attributs d’une chose signifie autant que détruire la chose elle-même ? Effacez les attributs, les manifestations, les fonctions d’un être vivant quelconque, et vous annulez d’un coup toute influence qu’il pourrait exercer sur les autres objets, vous l’annulez, vous l’annihilez lui-même. La religion ne doit jamais admettre la thèse sur l’impossibilité de connaître Dieu ; cette prétendue impossibilité renferme déjà en elle l’athéisme qui n’attendra pour éclater qu’un moment favorable. Ce Dieu qu’on n’est pas capable de connaître, on pourrait très-bien l’appeler une existence non existante, un être de contradiction, un non-sens, par la simple raison que toute existence réelle et véritable est en même temps une existence qualitativement spécifiée, différente de toute autre existence. Il n’y a pas d’existence en général ; ce qu’on serait tenté de nommer ainsi, c’est à peu près le néant, le zéro ; c’est au moins une existence insipide, languissante, et ce n’est que là où l’homme a perdu le goût de la religion de ses pères, que la religion elle-même et son Dieu perdent aussi, pour ainsi m’exprimer, le goût d’exister comme jadis. Je sais qu’il y a encore une autre manière moins directe de nier et d’effacer les attributs de Dieu : elle consiste en ce qu’on reconnaît leur origine humaine, mais en même temps leur nécessité pour l’entendement de l’homme, dont la faiblesse ne permettrait point, dit-on, de se faire de Dieu des idées autres qu’humaines. C’est la fameuse distinction entre Dieu tel qu’il est en lui, à lui, pour lui, et Dieu tel qu’il est à moi, pour moi. Cette distinction, assez subtile et spécieuse au premier coup-d’œil, a deux fautes également grandes : elle est louche, fausse en elle-même, et elle n’en détruit pas moins la tranquillité religieuse. Les attributs de Dieu, dites-vous, tels que nous les figurons par des qualités humaines, ne signifient rien objectivement, rien pour Dieu ; ils signifient assez pour nous, et le Dieu qu’ils constituent, quoiqu’un peu ressemblant à l’homme, est le seul que nous sommes en état de comprendre. Très-bien : mais savez-vous peut-être si Dieu est un autre pour moi, un autre en lui ? Et qu’aurez-vous à répondre si nous vous objectons que notre connaissance des qualités de Dieu constitue précisément son essence et son existence ? Un homme religieux se trouve parfaitement heureux de ce qu’il a reconnu de la nature de son Dieu, il n’en