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Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/182

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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

tidie quaecunque mandasti… Quin etiam Angelos in ministerium hominis ordinasti… transcendit autem omnia, quia tu ipse homini servire dignatus es » ; et ainsi C. 13 ; 18. Plus sublime et plus énergique encore est Ambroise (De fide ad Gratian, 2,4) : « C’est pour mot que le Christ a subi mes faiblesses et les passions de mon corps physique ; pour moi, c’est-à-dire pour l’homme en général, il s’est fait maudire… Lui a pleuré pour t’épargner des larmes à toi, homme. » Et Luther « Oui, le Seigneur nous a cru dignes du plus grand de tous les honneurs ; il a fait de son Fils un simple homme égal aux autres hommes ; je ne sais comment il aurait pu se rapprocher davantage du genre humain (XVI, 533). »

C’est surtout dans les hymnes des Herrnhuthiens, Méthodistes et Piétistes, qu’on peut observer l’amour pour Dieu se changeant d’une manière vraiment naïve en amour du moi ; cette phase, je le sais, est détestable aux yeux d’un mysticisme plus élevé et plus riche, qui plutôt dit avec Bernard (Tract. de dilig.) : « La cause pour laquelle on aime Dieu, c’est Dieu ; il faut l’aimer pour lui et non pour soi, » et le grand docteur mystique promet à l’âme d’être absorbée en Dieu. Mais cet amour désintéressé pour Dieu n’existe que dans les transports sublimes de l’enthousiasme religieux qui n’est Jamais de longue durée ; ordinairement cet amour mystique est essentiellement égoïste : Qui Deum non diligit, se ipsum non diligit, Celui qui n’aime pas Dieu, n’aime pas lui-même.


Chapitre VI.

Le Mystère du Dieu martyrisé.


La première hypostase, Dieu le Père, devenue homme sous la forme de Dieu le Fils, est essentiellement exposée aux souffrances humaines. Le Père est l’expression de toutes les perfections humaines, le Fils celle de toutes les douleurs, et tandis que les philosophes païens s’inclinent devant la spontanéité de l’Intelligence comme la véritable manifestation divine, les chrétiens adorent la Douleur comme divine. Le Christ, c’est la Passio pura; Dieu le Père, c’est l’Actus purus. La souffrance, surtout celle que l’Être