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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

entier (XIX, 21). » Les chrétiens poussaient ce mépris hautain jusqu’à condamner comme impiété tout essai de comparaison de l’homme et de l’animal ; les païens se rendaient coupables d’une erreur contraire, ils effaçaient la différence entre l’animal et l’homme, et Celsus. l’adversaire du christianisme, alla même plus loin, en rangeant celui-ci au-dessous de celui-là.

Les païens considéraient l’homme non-seulement en tant que faisant partie intégrante de l’univers, mais aussi comme partie intégrante de l’humanité, de la société. Avec beaucoup de rigueur logique ils distinguaient entre l’individu et le genre, entre l’individu individuel et l’individu membre du monde humain, ils ne cessaient de subordonner la partie à la totalité. « Les hommes s’en vont, le genre humain reste, » dit un philosophe du paganisme. « Quoi, mon cher Cicéron (écrit Sulpice), tu voudrais te plaindre d’avoir perdu par la mort ta fille bien-aimée ? regarde, tant de grandes villes, tant d’empires puissant s’écroulèrent jadis et s’écrouleront : tu ne dois pas te lamenter du décès d’un homonculus, d’une petite et fugitive créature humaine. Où est donc ta philosophie ? » Les païens dérivaient la notion de l’homme individu comme une notion secondaire de la notion du genre humain, qui était la primaire ; ils faisaient grand cas de l’espèce, de l’intelligence, mais très peu de l’individu. Le christianisme, qui prenait le contre-pied de l’époque précédente, abandonnait le genre, et ne fixait ses regards que sur l’individu[1]. Le christianisme des anciens, si différent de celui des modernes qui ont beaucoup adopté de la théorie et de la civilisation païennes tout en gardant du christianisme quelques maximes générales et le nom, n’est rien autre chose que le contraire direct du paganisme ;

  1. Il ne prenait le contre-pied qu’en matière de sentiment et d’intelligence, et cela avec assez d’exactitude ; on peut dire, par exemple, que la vie monacale avec ses transes de désespoir intérieur et sa saleté extérieure, avait été rigoureusement la réaction contre l'humeur joyeuse et le luxe du corps chez les païens. Mais il s’est bien gardé de prendre le contre-pied de l’exploitation païenne de l’homme par l’homme, tant intellectuelle (ignorance) que physique (misère) et morale (prostitution) : tout, absolument tout ce que des jurisconsultes vantent de son influence sur le droit romain, est erroné d’un bout à l’autre ; qu’on lise, par exemple, M. Troplong, on y trouvera cette énorme erreur fondamentales dans une expression des plus signalées. Il serait toutefois temps d’arracher le voile à l'’idole d’Isis, et de l'’exposer aux impitoyables rayons de la critique moderne. (Le traducteur.)