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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

En effet, s’il était vrai que mon péché ne saurait jamais se neutraliser et se faire contre-balancer par les qualités opposées dans d’autres hommes, alors mon peché est sans doute une horreur abominable et ne peut être effacé que par des moyens surnaturels et surhumains. Heureusement, le christianisme se trompe, il existe une conciliation humaine et naturelle : le Médiateur est déjà pour moi dans mon frère, le médiateur entre moi individu et l’idée sacro-sainte du genre humain : Homo homini Deus. Mon péché, qui n’est qu’à moi, est déjà déclaré nul, parce qu’il n’appartient pas aussi à autrui : mon péché va donc se laisser renfermer dans les limites de mon moi, son venin ne rampera plus loin, et il y sera étouffé.


Chapitre XVIII.

Le Célibat chrétien et le Monachisme.


Après avoir été comprimé pendant quelques siècles seulement, le christianisme triompha et devint comprimant à son tour. Il fit aussitôt main basse sur la notion du genre. On désapprit complètement ce que c’est que la vie dans l’espèce on s’enfouit, avec un enthousiasme et un désespoir à la fois grandioses et bizarres, dans les profondeurs les plus tortueuses, les plus ténébreuses de l’âme affective. La religion dite des catacombes et de la tombe ne démentit point cette dénomination : c’était là un phénomène historique sans précédent.

La civilisation, on le conçoit facilement, n’y pouvait rien gagner directement ; j’insiste ici sur le mot directement. Quand l’homme a identité une fois le genre avec l’individu quand il adore cette identité comme son Être-Suprême, comme Dieu, l’idée de l’humanité mondaine cesse de lui être autrement présente que sous l’idée de la divinité extraordinaire, par conséquent, le besoin de la culture et de la civilisation disparaît ; l’homme porte alors tout en lui et avec lui, il retrouve tout dans son Dieu, et il ne se donne plus la peine de se compléter, de s’améliorer par la communication avec ses semblables et par l’intuition de l’univers. C’est précisément là la base de tout mouvement civilisateur.