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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

la disette des conversations. De plus, avec une ignorance qu’elle prenait pour du bon sens, madame de Gournay, peu touchée des besoins de l’intelligence, considérait volontiers comme perdu le temps qui n’était pas donné aux soins du ménage. Mal secondés ou même combattus, les goûts de sa fille pour d’autres occupations que celles de son sexe n’en éclatèrent que plus fortement ; ses progrès solitaires n’en furent que plus réels. À des heures pour la plupart adroitement dérobées aux travaux de l’aiguille, la jeune Marie, comme elle le rapporte, « apprit le latin seule, sans grammaire et sans maître. » Par une sorte de divination, elle se familiarisa avec cette langue, en confrontant dans quelques traductions d’anciens auteurs, débris de la bibliothèque paternelle, le texte original à la version française. Cette insuffisance des moyens d’instruction, en la faisant beaucoup chercher et comparer, eut un effet heureux, celui de fortifier en elle la réflexion, plus précieuse que tous les livres. Non contente d’être devenue une assez bonne latiniste, elle voulut pareillement aborder la connaissance du grec : toutefois les difficultés qu’elle rencontra la contraignirent à lâcher prise, désespérant d’y pénétrer assez avant ; elle n’en posséda guère que les éléments, et dans la suite elle nous dit « qu’elle les avait presque totalement oubliés. » Néanmoins, à la prière d’un gentilhomme, elle traduisit, dans Diogène de Laërce, la vie de Socrate. On le remarquera d’ailleurs à son éloge : elle préférait à l’étude des mots celle des choses ; et, dans ses lectures multipliées, elle s’attachait prin-