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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

outre des procès, des suppressions de rentes et divers accidents semblables dont on trouvera chez elle l’énumération.

Pendant qu’elle recueillait les débris de la fortune maternelle, un coup qui ne lui fut guère moins rude frappa encore son cœur, qui saignait d’une plaie si récente. Elle reçut à Paris, en 1592, la nouvelle de la mort de Montaigne, si bien racontée par Pasquier[1]. Une correspondance assidue avait rendu de plus en plus étroits les liens de cette généreuse et philosophique amitié, qui unissait la fille d’alliance à son père adoptif. Dans ses regrets amers, elle n’envisagea d’autre consolation que celle d’aller contempler les lieux qu’il avait aimés, chercher sa mémoire au séjour où elle s’était plus vivement empreinte, pleurer sur son tombeau et mêler ses larmes aux larmes de sa femme et de la fille unique qu’il avait laissée. Mais comment effectuer ce pèlerinage ? La France était toute en armes : les villes, derrière leurs ponts-levis, relevaient leurs remparts ; les villages étaient fermés ou déserts, les communications interrompues. L’herbe, on l’apprend par les mémoires du temps, croissait sur les grands chemins, et, répandus dans les plaines dévastées, des soldats indisciplinés pillaient les gens des deux religions, sans distinction et sans pitié. Un voyage était une campagne : mademoiselle de Gournay l’entreprit résolument pour obéir à un devoir qu’elle jugeait sacré, et, protégée par son seul courage, elle parvint à

  1. Lettres, XVIII, 1 .