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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

accomplir sans mésaventure cette expédition périlleuse. Elle ne demeura pas moins de quinze mois à Montaigne, pour soulager une douleur qu’elle partageait : touchant spectacle que de voir ces trois femmes rassemblées par le regret commun d’un grand homme et par son pieux souvenir. Cimentée ainsi, leur liaison se maintint aussi tendre que durable ; elle ne cessa, de près ou de loin, d’être religieusement entretenue de part et d’autre par d’affectueux témoignages. Un attachement plus que fraternel, ce sont les termes que mademoiselle de Gournay emploie, l’unit surtout, depuis cette époque, à la jeune Éléonore, dont nous parlent les Essais, qu’elle appelait sa sœur d’alliance et qu’elle nous représente « comme touchée de quelque amour des Muses et de leurs vertus. » On aime à croire que cet éloge put s’appliquer justement à la fille de Montaigne, et qu’elle méritait l’hommage poétique qui lui fut plus tard décerné par mademoiselle de Gournay.

Une autre diversion que celle-ci trouva à son chagrin, ce fut de se dévouer à la gloire de l’ouvrage qui l’avait si fort captivée. La mort avait frappé l’auteur des Essais, au moment où il se préparait à donner de son livre une édition nouvelle qui devait offrir plus d’une amélioration sur celle de 1588. Les matériaux amassés à cet effet furent remis à sa fille d’adoption. Entourée de tous les secours que son intérêt pour une gloire si chère pouvait désirer, elle s’empressa d’accepter une mission que la tendresse de Montaigne semblait d’ailleurs lui avoir léguée.

Son admiration, assez manifestée par ce vers qu’elle