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Scène II.

LE COMTE DE MEDIANA, les regardant s’éloigner.

Voilà une querelle dont je voudrais savoir la fin, si je ne venais chercher ici quelque chose de plus précieux encore que la vie d’un homme, le regard d’une femme. Hélas ! chaque soir m’entend jurer de ne plus venir chercher ce regard mortel, et chaque matin me retrouve ici oubliant mon serment ! C’est l’heure où elle passe par cette salle en revenant de la chapelle. (La porte de droite s’ouvre.) Le comte-duc d’Olivares !


Scène III.

MEDIANA, LE COMTE-DUC D’OLIVARES.
OLIVARES.

Vous êtes seul, comte ?

MEDIANA.

Oui, Excellence, comme vous voyez.

OLIVARES.

Il m’avait semblé entendre parler dans cette salle.

MEDIANA.

C’est possible, monsieur. Il m’arrive souvent de parler haut dans la solitude ; c’est une faiblesse que l’on pardonne aux vieillards et aux poètes.

OLIVARES, avec intention.

Et aux amoureux, comte.

MEDIANA, sèchement.

Comme il plaira à Votre Excellence.

OLIVARES.

Pardieu ! comte, il faut que je vous fasse une question.

MEDIANA.

C’est votre droit, monsieur le premier ministre.

OLIVARES.

Vous avez parlé de poètes, et vous-même, tout grand seigneur que vous êtes, vous ne dédaignez pas de faire des vers.

MEDIANA.

Je ne fais que suivre l’exemple que nous donne le roi Philippe IV.

OLIVARES.

Eh bien ! comte, il court contre moi certaine satire que mes ennemis trouvent bonne, attendu que j’y suis fort maltraité ; l’avez-vous lue par hasard ?

MEDIANA.

Non, comte.

OLIVARES.

Qui donc fait des vers à la cour, après le roi Philippe IV et vous ?

MEDIANA.

Personne que je sache.

OLIVARES.

Signez vous tous les vers que vous faites, comte ?

MEDIANA.

Tous.

OLIVARES.

Même les satires ?

MEDIANA.

Même les satires. Seulement, je signe les vers ordinaires de mon nom de comte de Villa-Mediana, et les satires, de mon cachet habituel.

OLIVARES.

Et ce cachet représente ?

MEDIANA.

Une plume et une épée, avec le mot : UTI, s’en servir.

OLIVARES.

Ah ! c’est bien.

MEDIANA.

Mais, silence, monsieur, voici la reine.

OLIVARES, à part.

Il l’a vue le premier… Il l’attendait.


Scène IV.

MEDIANA, LA DUCHESSE DE SIDONIA, LA REINE, OLIVARES, les femmes de la reine au fond.
LA REINE.

Pouvez-vous me dire, monsieur le duc, quels sont les deux cavaliers qui ont l’audace de se battre dans le parc royal ?

OLIVARES.

Se battre dans le parc royal ! Impossible, madame.

LA REINE.

Approchez de cette fenêtre, et vous verrez d’ici reluire les épées.

OLIVARES, allant au balcon.

Madame, c’est le duc d’Albuquerque et le capitaine Riubos.

LA DUCHESSE, à part.

Le duc d’Albuquerque !

LA REINE.

Monsieur, faites séparer les combattants. Ils auront à justifier leur conduite devant le roi. Viens, Sidonia. (Elles entrent à droite.)


Scène V.

MEDIANA, OLIVARES.
MEDIANA, à part.

Ô ma souveraine !

OLIVARES, revenant.

Un duel sous les fenêtres du palais, dans un pays où le duel est défendu par le roi. Voilà, sur mon honneur, une hardiesse que le duc d’Albuquerque, tout duc d’Albuquerque qu’il est, payera cher.

MEDIANA.

Le duc d’Albuquerque est un de ces précieux serviteurs envers qui un roi ne peut se montrer sévère. D’ailleurs tout le peuple de Madrid viendrait au besoin demander sa grâce.

OLIVARES.

Oui, sa folle magnificence lui a fait un nom. C’est un homme qui mettrait le feu à son palais pour réchauffer un mendiant ; un grand original, enfin.

MEDIANA.

Monsieur d’Albuquerque, vous le savez, Excellence, a un meilleur titre à la faveur des Espagnols, c’est celui de grand capitaine et de victorieux.

OLIVARES.

Je comprends que vous le défendiez, comte. Vous ne lui devez pas moins en échange de l’attachement protecteur qu’il vous porte.

MEDIANA.

Pardon, monsieur le duc, mais Votre Excellence oublie que je suis d’âge et de nom à me protéger moi-même.

OLIVARES.

Comment donc, mais personne n’en doute, comte, personne n’en doute.


Scène VI.

MEDIANA, OLIVARES, D’ALBUQUERQUE, en dehors.
LE DUC.

Messieurs, je vous serais infiniment obligé de ne pas me toucher.

MEDIANA.

C’est la voix du duc.

OLIVARES.

En effet, je crois qu’on nous l’amène.

LE DUC, au fond.

Monsieur le garde, présentez, je vous prie, mes compliments au capitaine Riubos ; dites-lui que je crains de l’avoir provoqué un peu à la légère, et que, s’il ne meurt pas de sa blessure, je lui ferai réparation de cette légèreté en quelque lieu plus propice. Maintenant, vous avez ma parole, je ne quitterai pas cette chambre. Allez. (Entrant.) Ah ! bonjour, Mediana. (D’un ton moins amical.) Bonjour, comte-duc. C’est vous qui m’avez fait arrêter, je présume.

OLIVARES.

Par ordre de la reine, monsieur.

LE DUC.

Et combien de temps dois-je garder les arrêts dans cette salle ?

OLIVARES.

Jusqu’au retour du roi.

LE DUC.

Lequel reviendra de la chasse… ?

OLIVARES.

Selon son habitude, vers deux heures.

LE DUC, s’asseyant à gauche.

Merci, Excellence

OLIVARES, s’approchant de lui.

Monsieur le duc, voulez-vous me permettre de m’étonner, tout