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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/233

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Vildamour, se rasseyant. — Ou ite ou e en « est ini » et ou en in-i-ez as ! (Vous dites tout le temps que c’est fini et vous n’en finissez pas !)

Follbraguet, qui pendant ce qui précède a allumé une petite lampe à alcool et y chauffant sa poire à air chaud. — C’est plus rien, maintenant. N’ayez pas peur ! Ouvrez la bouche !

Vildamour, à chaque coup de soufflet. — Hha ! hha ! hha ! hha !

Follbraguet. — Là !

Vildamour. — Oh ! eè éa-é-ae. (Oh ! que c’est désagréable.)

Follbraguet, vivement. — Fermez pas la bouche !… restez grand ouvert. (Il a tourné un coton autour d’une tige d’acier, et, après l’avoir imbibé d’un produit médicamenteux, contenu dans une petite fiole, il l’introduit dans la dent qu’il vient de soigner.) Là ! ça n’est pas si terrible que ça ! (Il défait le caoutchouc, enlève le pompe-salive, en tendant un verre au quart plein d’un mélange de dentifrice et d’eau.) Crachez !

Vildamour obéit et après s’être rincé la bouche. — Merci… vous êtes bien aimable… ce que vous avez pu me torturer !

Follbraguet, se dirigeant vers son bureau. — Mais non, mais non ! C’est en se disant ça qu’on a mal ! Alors, voilà : vous allez me garder ce pansement un jour ou deux, après quoi, vous reviendrez pour que je vous aurifie. (Feuilletant son agenda.) Voyons, quels sont mes rendez-vous ? Attendez… après demain, cinq heures, vous êtes libre ?

Vildamour. — Après-demain cinq heures ?… Non, j’ai un rendez-vous !

Follbraguet. — Aha ! (Il s’apprête déjà à chercher un autre jour.) Alors, voyons…

Vildamour. — Oh ! mais ça va très bien ! c’est avec un créancier ! il se cassera le nez ! c’est pain béni !

Follbraguet. — Parfait ! alors (inscrivant), onze février, cinq heures, M. Vildamour. N’oubliez pas !

Vildamour. — Vous voyez bien que je n’oublie rien, puisque je me rappelle un rendez-vous avec un créancier. (Un temps.) Voilà ! (Un temps.) Ça me fait toujours mal, vous savez.

Follbraguet, indifférent. — Oui, oui.

Vildamour. — Ça a l’air de vous laisser froid.

Follbraguet. — Ça me laisse froid, parce que c’est dans l’ordre. Vous souffrirez comme cela encore un quart d’heure, et puis ça ira en diminuant. Je viens de pratiquer l’orifice, il faut le temps que ça se dégage.

Vildamour. — Aha !

Follbraguet, tout en parlant, allant appuyer sur un bouton de sonnette électrique. — Cependant, si vous continuez à avoir mal, eh bien, revenez. Je m’arrangerai pour vous faire passer entre deux rendez-vous.

Vildamour. — Oui, oh ! vous êtes le plus exquis des dentistes. D’ailleurs c’est pas d’aujourd’hui. Quand je parle de vous, vous savez… vous pouvez demander… je dis toujours : ah ! mon dentiste, c’est une perle ! et une main ! c’est un plaisir, on ne sent rien !

Follbraguet, flatté. — Ah ! et qu’est-ce qu’on vous répond à ça ?

Vildamour. — On me répond : « Le mien aussi ! »

Follbraguet, refroidi. — Ah !

Adrien, paraissant au fond. — Monsieur ?

Follbraguet. — C’est pour reconduire Monsieur ! En même temps, vous direz à M. Jean de venir… (À Vildamour.) À après-demain cinq heures, n’est-ce pas ?