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Follbraguet. — Je fais ce qu’il y a à faire.

Vildamour. — Oh ! j’ai une de ces rages…

Follbraguet, pensant à la sienne. — Ah ! ben… si vous croyez qu’il n’y a que vous !

Vildamour. — Oui, mais les autres, ça m’est égal.

Follbraguet. — Oui… oh ! naturellement… égoïste ! Ouvrez la bouche !

Vildamour. — Vous n’allez pas me faire mal.

Follbraguet. — Mais non ! mais non ! ouvrez !

Il lui fixe le caoutchouc à la dent, qu’il assujettit par derrière, et lui introduit le pompe-salive dans la bouche. Après quoi, il remonte remplir son verre au lavabo : dentifrice et eau.

Vildamour, incompréhensible, sous son bâillon, seules les voyelles étant perceptibles. — Au fond, cette dent avait besoin d’être arrangée depuis longtemps, mais j’hésitais toujours, tant qu’elle ne me faisait pas mal.

Follbraguet, revenant avec son verre. — Oui ! oui ! oui !

Vildamour, idem. — Mais alors, cette nuit, ce que j’ai pu souffrir…

Follbraguet, un instrument à la main pour déboucher la dent. — Oui, ouvrez la bouche !

Vildamour obéit. Il lui retire son coton qu’il jette.

Vildamour, idem. — Je n’ai pu fermer l’œil un instant, il me semblait qu’on me vrillait le cerveau !

Follbraguet, énervé. — Ah ! je vous en prie, ne parlez pas tout le temps… vous m’empêchez de travailler.

Vildamour, interloqué, se le tenant pour dit. — Ah !

Follbraguet, le cerveau ailleurs et tout en travaillant. — Et quand on pense qu’on a la bêtise de se marier ! (Vildamour, ahuri, tourne vers lui des yeux étonnés.) Ouvrez la bouche ! (Il commence à faire tourner la roue, ce qui fait faire la grimace à Vildamour.) Ouvrez !

Il lui travaille la dent.

Scène XI

Les mêmes, MARCELLE

Marcelle, entrant en coup de vent. — Qu’est-ce que la cuisinière me dit, que tu l’as mise à la porte ?

Follbraguet, exaspéré. — Ah ! fiche-moi la paix, toi !… (S’apercevant que dans son mouvement il a éraflé la bouche de Vildamour avec son instrument toujours en rotation.) Pardon (À sa femme.) Je suis occupé, je te prie de me laisser travailler.

Marcelle. — Oui, eh bien ! je n’admets pas que tu mettes Noémie à la porte, attendu que je n’ai jamais eu qu’à me louer d’elle.

Follbraguet. — Et moi, quand la cuisinière me parle grossièrement, je la fiche dehors ! Et puis, en voilà assez ! Je suis avec un client, je te prie de me laisser.

Marcelle. — C’est bon !… (À Vildamour.) Pardon, monsieur. (À Follbraguet.) Nous reparlerons de ça tout à l’heure.

Elle sort par le fond gauche.