Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/131

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Pontagnac, s’asseyant. — J’ai dû vous paraître ridicule.

Lucienne, souriant. — Croyez-vous ?

Pontagnac. — Vous êtes moqueuse !

Lucienne. — Enfin… voyons, qu’espériez-vous donc en me suivant avec cet acharnement ?

Pontagnac. — Mon Dieu ! Ce que tout homme espère de la femme qu’il suit et qu’il ne connaît pas.

Lucienne. — Vous êtes franc.

Pontagnac. — C’est que, si je venais vous dire que je vous suivais pour vous demander ce que vous pensez de Voltaire, il est probable que vous ne me croiriez pas.

Lucienne. — Tenez, vous m’amusez. Et cela vous réussit ce petit manège ?… Il y a donc des femmes…

Pontagnac. — S’il y a des !… 33,33 pour cent.

Lucienne, s’inclinant. — Aha ! Eh bien, aujourd’hui, vous n’avez pas eu de chance, vous êtes tombé sur une des 66,66 pour cent.

Elle se lève.

Pontagnac, pose sa canne et son chapeau et se lève. — Oh ! madame, ne me parlez plus de cela. Si vous saviez combien je suis marri.

Lucienne. — Avec deux r ! prononcez bien.

Pontagnac. — Avec deux r, oui ! Oh ! je sais bien qu’avec un r…

Lucienne. — Vous l’êtes bien peu.

Pontagnac. — On fait ce qu’on peut. Que voulez-vous, c’est un malheur un tempérament comme ça, mais c’est plus fort que moi, j’ai la femme dans le sang !

Lucienne. — Eh bien ! mais monsieur le Maire vous en a justement attribué une.

Pontagnac. — Ma femme, oui ; oh ! évidemment, c’est une femme charmante. Mais elle l’est déjà depuis longtemps pour moi ! C’est un roman que j’ai souvent feuilleté.

Lucienne. — Oui, sans compter qu’il n’est peut-être plus très commode d’en tourner les pages.

Pontagnac. — Pourquoi cela ?

Lucienne. — Dame ! ses rhumatismes.

Pontagnac. — Elle ! depuis quand ?

Lucienne. — C’est vous qui nous avez dit…

Pontagnac, vivement. — Ah ! ma femme, oui, oui… à Pau, dans le Béarn… Parfaitement !… Eh bien ! hein ?

Lucienne. — Ah ! oui…

Pontagnac. — Et vous me direz encore que je n’ai pas une excuse ! Allons donc ! Alors, quand le ciel met sur ma route une créature exquise, divine !…

Lucienne, passant à gauche. — Assez, monsieur ! assez, sur ce chapitre ! Je pensais que vous aviez fait amende honorable.

Pontagnac. — Tenez, avouez-le franchement, vous en aimez un autre.

Lucienne. — Oh ! mais, savez-vous bien, monsieur, que vous devenez de la dernière impertinence ! Alors, vous n’admettez pas qu’une femme puisse être une épouse fidèle ! Si elle vous résiste, c’est qu’elle en aime un autre ! Il n’y a pas d’autre mobile ! Mais quelles femmes êtes-vous donc habitué à fréquenter ?

Pontagnac. — Ecoutez, vous me promettez de ne jamais confier à personne ce que je vais vous dire ?