Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/136

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Lucienne. — Comment le savez-vous ?

Rédillon. — On me l’a toujours dit.

Lucienne. — Ah ! alors !

Rédillon. — Ah ! Lucienne, n’oubliez pas que vous m’avez promis que vous ne serez jamais qu’à moi !…

Lucienne, corrigeant. — Permettez !… Si jamais je dois être à quelqu’un ! Mais comme pour cela, mon pauvre ami, il faudrait des circonstances particulières !…

Elle s’assied à droite de la table.

Rédillon, avec un soupir. — Ah ! oui, que votre mari vous trompât ! Oh ! alors ! (À part.) Mais qu’est-ce qu’il attend donc cet homme-là ! Il n’a donc pas de tempérament, quelle moule ! (Haut.) Mais vous ne sentez donc pas la cruauté du supplice que vous m’imposez ? Celui d’un homme à qui l’on servirait tout le temps l’apéritif et qui ne dînerait jamais !

Lucienne. — Eh bien ! mon pauvre ami,… allez dîner dehors !

Rédillon. — Faut bien ! Qu’est-ce que vous voulez, moi, je suis fait de chair et d’os ! Eh bien ! J’ai faim, là, j’ai faim !…

Lucienne. — Oh ! que vous êtes laid quand vous criez famine.

Rédillon. — Vous riez, sans cœur !

Il va s’asseoir sur le pouf.

Lucienne. — Voulez-vous que je pleure ? Surtout maintenant que je sais que vous vous offrez des extras.

Elle se lève.

Rédillon. — Ah ! ils sont jolis, mes extras ! Je vous les donne, mes extras ! Ah ! si vous vouliez, mais est-ce que j’en aurais des extras ? Seulement vous ne voulez pas ; alors, qu’est-ce que vous voulez, tant pis pour vous, c’est les autres qui en bénéficient.

Lucienne, adossée à la table. — Allons ! grand bien leur fasse !

Rédillon, avec fatuité. — Je vous en réponds !

Lucienne, en remontant. — Et voilà l’homme qui vient me parler de son amour !

Rédillon. — Mais absolument ! Est-ce que ça empêche, ça ? C’est pas ma faute si, à côté de l’amour, il y a… il y a… l’animal !

Lucienne. — Ah, oui ! tiens, c’est vrai ! ça m’étonnait aussi que l’on n’en parlât pas, de celui-là ! Eh bien ! vous ne pouvez donc pas prendre sur vous de le tuer… l’animal ?

Rédillon. — J’ai jamais pu faire de mal aux bêtes.

Lucienne. — Pauvre chat ! Eh bien ! alors, tenez-le en laisse.

Rédillon. — Mais je ne fais que ça. Seulement, comme c’est la bête qui est la plus forte, c’est elle qui traîne et c’est moi qui suis. Alors, qu’est-ce que vous voulez, quand je ne peux pas faire autrement, eh bien ! je me résigne, (se levant.) je promène l’animal.

Il gagne la droite.

Lucienne. — Ah ! les hommes ! Pauvre Ernest ! Et comment s’appelle-t-elle ?

Elle s’assied sur le canapé.

Rédillon. — Qui ça ?

Lucienne. — Votre promenade ?

Rédillon. — Pluplu,… abréviatif de Pluchette.

Lucienne. — Délicieux !

Rédillon, allant à elle. — Oh ! mais le cœur n’y est pour rien, vous savez ! Est-ce qu’elle compte, Pluplu, pour moi ! Il n’y a qu’une femme