Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/212

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dans la vie où l’on doit faire le sacrifice de son bonheur à son devoir…"

Bretel, avec conviction. — Oui !

Lucien, se retournant. — Hein ?

Bretel. — Oui, ça est bien !… Tu parles comme un curé… sais-tu ?… ça est bien, voilà !

Lucien. — Oh ! non, mais de quoi se mêle-t-il ?

Bretel, répétant. — "On doit, dans la vie, avoir de sacrés fils pour son bonheur et son devoir !" très bien ! ça est comme qui dirait une farandole… une farandole de l’Evangile.

Lucien. — Hein !

Bretel. — Une farandole de l’Évangile !… C’est-à-dire que ça roule bien à l’orelle, et ça ne veut rien dire…

Lucien. — C’est un type ! allons ! laissez-moi écrire… (écrivant) "son bonheur à son devoir"… Si je sais comment tourner ça — "Je t’ai donné souvent des preuves de mon amour…"

Bretel. — De son amour !… c’est une lettre à du sexe, ça… (il regarde un tableau qui représente "Léda et son cygne", à part) Ouïe, ouïe ! qu’est-ce que ça est tout de même que cette jeune fille qui s’a fait tirer comme ça, habillée avec une volaille sur les genoux ?… (haut) Dis-donc, M’sieur, c’est-y une de ta famile, cette madame-là ?…

Lucien. — Quoi ? Quelle dame ?

Bretel. — Cette madame qui plume une oie et qu’a peur de salir ses vêtements ?

Lucien. — Hein !… la Léda ?… vous êtes fou ! Laissez-moi écrire !

Bretel. — Alleï ! Alleï !

Lucien, écrivant. — "Des preuves de mon amour, tu n’as donc pas à en douter… aussi faut-il des raisons…"

Bretel, à la cheminée, voyant une statuette d’une Diane quelconque. — Ca est une belle posture, tout de même… (haut) M’sieur !

Lucien. — Quoi encore ?

Bretel. — C’est-y de votre famile, cette madame-là ?

Lucien. — Oh ! mais, il m’embête…

Bretel. — Pourquoi que vous la laissez courir comme ça, toute nue ?… Pourquoi que tu l’habilles pas… avec des petits vêtements… comme Mannekenpiss chez nous ?…

Lucien. — Ah ! çà ! dites donc, vous n’allez pas m’interrompre comme ça tout le temps ?… Faites ce que vous voudrez,… mais ne parlez plus… tant que je n’aurai pas fini d’écrire.

Bretel. — Bien.

Lucien, se retournant. — C’est vrai !… j’ai déjà assez de peine à tourner ce poulet diplomatique… Voyons ! (écrivant) "Il faut des raisons…" non. (Il efface.) "Hélas ! qui m’eût dit…" non. — "J’en atteste le ciel" — non "Dieu m’est témoin que je n’aurais jamais voulu te quitter."

Bretel s’est assis à gauche — il tire sa pipe, la bourre et l’allume.

Lucien, écrivant. — "Mais je me vois dans la nécessité" (se corrigeant) "dans la dure nécessité de rompre notre lune de miel".

Bretel va pour cracher, il s’arrête… regarde partout le tapis, puis prend le cendrier et crache dedans. — C’est pas commode…

Lucien, répétant. — "De rompre notre lune de miel !…" (parlé) Seulement voilà, qu’est-ce qui peut bien me mettre dans la nécessité de rompre notre lune de miel ?… Oh ! j’y suis !… (écrivant) "j’avais engagé toute