Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/50

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Dufausset. — Moi ! mais c’est pour rire…

Pacarel. — Ta, ta, ta, ta, ne faites donc pas l’innocent ; je sais bien que c’est dans votre jeu…

Landernau. — Mais c’est inutile ! on ne vous lâchera pas…

Pacarel. — Ainsi, c’est pas la peine de vous entêter…

Dufausset. — Ils y tiennent…

Pacarel. — Faites un peu… Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

Il chante la gamme.

Dufausset, même jeu. — Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

Pacarel. — Plus fort.

Dufausset, criant. — Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! (À part.) Ils me feront tourner en bourrique.

Pacarel. — Eh ! bien, voila, ça y est… C’est un peu faux… mais c’est parce qu’il y a des courants d’air… quand il y aura un décor derrière…

Landernau. — Vous voyez bien que vous avez une voix superbe.

Dufausset. — Moi !

Pacarel. — D’ailleurs, votre réputation est faite dans Bordeaux.

Dufausset. — Allons donc !

Pacarel. — C’est bien pour ça que je vous ai fait un si brillant engagement… Sans ça, vous pensez bien…

Dufausset. — C’est vrai pourtant ! Alors, c’est sérieux ce que vous dites là ?

Pacarel. — Dame !

Dufausset. — Eh ! bien, je ne m’en serais jamais douté…

Landernau. — Aussi, c’était enfantin de vouloir nous le cacher.

Dufausset. — Oh ! je vous assure que jusqu’à présent… Comme on s’ignore tout de même… C’est que c’est positif ; voulez-vous que je vous dise : au fond, j’ai toujours senti que j’avais de la voix… mais on me décourageait, là-bas, en me disant : "Ferme ça, tu vas faire pleuvoir !"

Pacarel. — Il y a toujours des envieux pour contrarier les vocations.

Dufausset, chantant. — Do ré mi fa sol la si do ! Ah ! ah ! ah ! ah !… (Passant au premier plan.) "Salut, demeure chaste et pure !"

Pacarel. — Aie ! toujours le même air… il varie peu !

Dufausset. — Ah ! n’ayez pas peur… j’en apprendrai d’autres.

Pacarel. — C’est si beau, une belle voix…

Dufausset. — Ah ! je crois bien… mais en France vous n’avez pas ça… il faut aller en Italie… Si vous aviez été comme moi à la Chapelle Sixtine…

Landernau, bondissant, ainsi que Pacarel. — Hein ! vous…

Dufausset. — Quoi !

Pacarel, suffoqué. — À la… À la cha… à la cha cha…

Dufausset. — Pourquoi parlez-vous arabe ?…

Pacarel. — Non je… ce n’est pas de l’arabe… je dis à la cha… Qu’est-ce que vous venez de dire, enfin ?

Dufausset. — J’ai dit : "si vous aviez été, comme moi ; à la Chapelle Sixtine".

Landernau. — J’avais bien entendu… Comment, vous avez été à la Chapelle Sixtine ?… vous !… chanter.

Dufausset. — Quoi ?

Landernau. — Je dis : chanter !