Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/51

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Dufausset, à part. — "Chantez !" Oh ! il veut encore que je chante. (Haut.) Parfaitement ! Parfaitement ! (Chantant.) "Salut demeure… "

Pacarel. — Assez !

Dufausset. — Bon !

Landernau, bas à Pacarel. — Il m’a dit "parfaitement !", tu as entendu ?

Pacarel. — Oui ! je n’en reviens pas, pauvre garçon !

Dufausset, passant au deuxième plan. — Mais pour en revenir à la Chapelle Sixtine… vous savez sans doute que les chantres en sont…

Pacarel. — Oui, nous savons, nous savons…

Dufausset. — Eh ! bien vous ne pouvez vous faire une idée de l’intensité d’harmonie qui se dégage de ces voix si pures ainsi assemblées, qui chantent toutes leurs parties avec une âme…

Pacarel. — Ils les chantent de mémoire, bien entendu !

Dufausset. — Oh ! évidemment.

Landernau. — Et comment un garçon comme vous a-t-il pu avoir l’idée d’entrer là-dedans ?

Dufausset. — Où ? À la Chapelle Sixtine ? Ah ! bien ma foi, vous savez ce que c’est… J’étais à Rome… J’avais déjà un peu le spleen… j’apprends tout à coup que ma maîtresse, une femme qui m’avait juré un amour éternel, venait de filer avec un dentiste napolitain.

Pacarel. — Je vois ce que c’est ! un désespoir d’amour !

Dufausset. — Mettez-vous à ma place.

Pacarel. — Merci.

Dufausset. — Vous comprenez, mon humeur… pour m’étourdir alors… je me suis mis à arpenter les rues de Rome, seul, découragé, dégoûté de la vie et des femmes…

Landernau. — Oui ! Oui.

Dufausset. — Tout à coup, qu’est-ce que je vois devant moi… la Chapelle Sixtine… Dame ! pour un homme qui est tout seul à Rome avec le spleen en plus et une maîtresse en moins… c’était encore une ressource.

Pacarel. — Médiocre…

Dufausset. — Je m’écrie : "Ma foi, c’est le ciel qui l’envoie ! entrons à la Chapelle Sixtine !"

Pacarel. — Comme ça ! Vlan !

Landernau. — Niez donc la vocation !

Dufausset. — Ah ! je ne l’ai pas regretté, allez !

Pacarel. — Jamais ?

Dufausset. — Jamais !… Je puis dire que j’ai éprouvé là une des plus grandes secousses de ma vie.

Landernau. — Je vous crois.

Dufausset, à Landernau. — Je n’étais pas plus tôt entré, monsieur, que je me sentais pris par tous ces chantres à la voix céleste… terrassé, démonté… (À Pacarel.) Je n’étais plus un homme, monsieur !… J’étais… Ah ! je ne sais pas ce que j’étais…

Pacarel. — Ne cherchez pas… (À part.) Pauvre garçon !

Dufausset, à Landernau. — Enfin, me croirez-vous quand je vous dirai que j’ai pleuré, oui monsieur… comme un veau, à ce moment-là.

Pacarel. — Ah ! je ne savais pas que les veaux, à ce moment-là…

Landernau. — C’est sans doute la perspective du pot-au-feu.

Dufausset. — C’était de l’extase, quoi… au point que je n’ai même pas fait attention à ce qu’on m’y a exécuté.