Rudebeuf. — C’est vous que ça amuse. Oh ! Je sais bien. Je dois avoir une dégaine, comme ça, en panne, à vous contempler derrière votre étalage de phares et de châssis. Et vous vous fichez de moi, hein ?… Dieu ! que vous êtes jolie !
Gabrielle. — Ne m’approchez pas tant que ça !
Rudebeuf. — Un Greuze ! Avec ce petit tablier et ce ruban, vous avez l’air d’un Greuze.
Entre Jourdain.
Gabrielle. — Prenez garde ! Faites semblant de m’acheter quelque chose.
Rudebeuf. — Des lunettes ?
Gabrielle. — Non, un manteau de tussor.
Jourdain. — Mme Grosbois est occupée dans l’atelier. Elle vous demande quelques minutes.
Rudebeuf. — Merci !… (A Gabrielle.) Je voudrais avoir un manteau de tussor, mademoiselle.
Gabrielle. — Je vais vous prendre mesure, monsieur. C’est quatre-vingt francs.
Sort Jourdain.
Rudebeuf. — Vous êtes exquise et ça n’est pas cher.
Gabrielle. — Quatre-vingt-quinze francs ! Levez le bras ! (Elle prend mesure. Rudebeuf l’enlace avec le bras resté libre.) Ne me touchez pas la taille.
Rudebeuf. — Il y a huit jours que je veux entrer chez vous et que je me retiens.
Même jeu.
Gabrielle. — Levez les deux bras !… De quoi disiez-vous que j’avais l’air ?
Rudebeuf. — D’un Greuze. Je me disais : si j’entre…
Gabrielle. — Greuze ! Qui est-ce ?
Rudebeuf. — Greuze, peintre français, né en 1725.
Gabrielle. — Eh ! ben, vrai !
Rudebeuf. — Si j’entre…
Gabrielle. — Très long le manteau, et des boutons de nacre ?
Rudebeuf. -… Oui ! Si je lui parle, si elle me sourit, je vais pincer un béguin fou pour cette petite.
Gabrielle. — Des boutons de nacre et très long, c’est vingt francs de plus.
Rudebeuf. — Et je l’ai pris, le béguin. Ça y est ? Vous êtes adorable.
Gabrielle. — Laissez les deux bras levés.
Rudebeuf. — J’en ai eu des femmes à Paris ! les plus célèbres, celles qui sont consacrées, dont la beauté est inattaquable, et que nos pères admiraient déjà. Eh bien ! il n’y en a pas une qui vous arrive à la cheville !
Gabrielle. — Vous pouvez laisser tomber les bras, c’est fait. Où faudra-t-il vous envoyer le manteau ?
Rudebeuf. — Aussi, je n’irai pas par quatre chemins…
Gabrielle. — Où faut-il vous envoyer le manteau ?
Rudebeuf. — Où vous voudrez. Ça m’est égal. Je n’irai pas par quatre chemins…
Gabrielle. — Vous payez d’avance. C’est l’habitude de la maison.
Rudebeuf. — Je suis très riche, et je vous aime. Combien vous dois-je ?
Gabrielle. — C’est cent soixante-quinze francs.