Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Chatel-Tarraut. — Ah ! pardon ! (A part.) Ca m’étonnait aussi. (A ses deux suivants.) Recoiffez-vous, messieurs ! Ca n’est pas pour nous !

Le Garde Champêtre. — Alors, on s’en retourne ?

Chatel-Tarraut. — Non, garde champêtre ! Nous représentons la commune de Ker-Kerzoec dans cette fête républicaine ; quelque répugnance qu’y puisse trouver notre âme légitimiste. C’est encore servir notre Roi que le faire avec dignité et condescendance.

Le Garde Champêtre. — C’est qu’il y a ma vache qui est en train de vêler.

Chatel-Tarraut. — Eh bien ! elle vêlera sans vous ! Vous n’êtes pas sage-femme ! la nature a fait les choses de telle sorte qu’une vache, pour vêler, peut se passer de garde champêtre ! Notre devoir est ici.

Le garde Champêtre. — Oui, monsieur le Maire !

Chatel-Tarraut. — Voyez, j’ai ceint l’écharpe tricolore. Croyez qu’il m’en coûte.

Il montre son écharpe qui est complètement passée de couleur.

Le Garde Champêtre. — Tricolore ? Elle est plutôt blanche !

Chatel-Tarraut. — Tais-toi ! Je l’ai tellement fait déteindre… qu’aujourd’hui, elle me donne des illusions !… (A l’adjoint.) Venez, l’adjoint ! (L’adjoint le regarde.) Ah ! c’est juste !

Il lui fait des signes en alphabet muet. L’adjoint répond en signes.

Chatel-Tarraut. — Voilà ! (Au garde champêtre.) Pourquoi faut-il que la plus belle intelligence du pays soit précisément sourde et muette ?… Je suis obligé de lui parler muet, et en patois breton ! on ne s’imagine pas ce que c’est difficile à parler le muet breton. (L’adjoint lui dit quelques mots par gestes.) Oui, mon vieux ! (Regardant les soldats.) Regardez-les nos petits soldats de France. Toujours les mêmes, esprits légers et cœurs contents. (Allant à eux.) Soldats ! C’est au nom de la commune de Ker-Kerzoec que je vous souhaite la bienvenue ! Si vous êtes les soldats de la République, vous êtes aussi des soldats de la France ! Et c’est par là que vous nous êtes chers !

Le Caporal. — Qu’est-ce qu’il a ce pékin-là ?

Chatel-Tarraut. — Nous saluons en vous notre espoir de demain ! La force vive de la Patrie, nos héros de toujours ! Vous que nous avons vus à Rocroy, à Fribourg, à Nordlingen…

Premier Soldat. — Moi ?

Chatel-Tarraut. -… voler de victoires en victoires.

Le Caporal. — Dites donc, là, n’avez pas fini de faire le loustic ?

Chatel-Tarraut. — Je ne vous parle pas, monsieur !… Je parle à ces hommes

Le Caporal. — Oui. Eh bien ! moi, c’est moi que je vous parle ; allez, rompez !

Chatel-Tarraut. — Vous dites ? Je suis le maire de Ker-Kerzoec.

Le Caporal. — M’en fous. Je vous ai dit de "romper". Rompez !

Chatel-Tarraut. — Vous avez dit "je m’en fous" ?

Le Caporal. — Silence !

Chatel-Tarraut. — Je me tais, mais parce que j’ai fini.

Le Garde Champêtre. — Ah ! Un officier, là-bas.

Chatel-Tarraut. — Eh bien ! il arrive bien… Nous allons un peu voir. Quel grade ? Quel grade ?

Le Garde Champêtre. — C’est… c’est officier.