Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/223

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Chatel-Tarraut, fixant son monocle. — Officier !… Officier ! C’est pas un grade. Allons bon !… mon verre, j’ai perdu mon verre.

Le Garde Champêtre. — Votre verre !

Chatel-Tarraut. — Le verre de mon monocle ! Cré nom d’un chien ! je l’avais à l’instant ! il ne doit pas être loin, cherchez, cherchez !

Il tire sa jumelle de son étui, et, après l’avoir mise à sa vue, il explore le terrain autour de lui avec sa lorgnette. Le garde champêtre cherche aussi et l’adjoint, ahuri, les regarde. Un lieutenant entre.

Le Lieutenant. — Caporal ! faites resserrer vos hommes ! nous sommes ici au virage le plus corsé ! Il y aura affluence de monde ! Ne laissez traverser personne, l’accès de cette porte est interdit à tous, sauf aux titulaires de cartes spéciales. Je vous rappelle que chacun est responsable des accidents ! (Au caporal.) C’est compris ?

Le Caporal. — Oui, mon lieutenant.

Chatel-Tarraut. — C’est commode d’avoir perdu ses yeux pour essayer de les retrouver (Au garde champêtre.) Vous ne voyez rien ?

Le Garde Champêtre. — Ah ! le voici.

Chatel-Tarraut. — Où ça ? où ça ?

Le Garde Champêtre. — Là, sous le talon de l’adjoint.

Chatel-Tarraut. — Ah ! bougre d’idiot, va !… (Il pousse l’adjoint qui le regarde étonné.) Vous ne voyez pas ce que vous avez fait ! Mon monocle, là !… en miettes !… On dirait du sucre en poudre. Ah ! c’est du propre !… ça me force à rentrer pour chercher mon autre monocle. Allez, venez ! Espèce d’adjoint, va !

Il se cogne dans le caporal.

Le Caporal. — Faites donc attention, vous !

Chatel-Tarraut. — Oh ! pardon. Les lorgnettes, c’est trompeur sur les distances ; je ne vous croyais pas si près.

Le Caporal. — Où allez-vous ?

Chatel-Tarraut. — Je veux traverser. J’habite en face.

Le Caporal. — On ne passe pas.

Chatel-Tarraut. — Comment ?

Le Caporal. — Défense de traverser pendant le circuit.

Chatel-Tarraut. — Mais, puisqu’il n’est pas commencé.

Le Caporal. — M’en fous !

Chatel-Tarraut. — Mais, je suis le maire !… "M’en fous", il ne sait dire que ça. Ne restons pas ici, Messieurs. Allons voir plus loin, nous trouverons sûrement des gens plus courtois ! Passez, l’adjoint !

Scène IV

Etienne, Phèdre, Le Brison.

Pendant cette fin de scène, par petits groupes, peu à peu, du monde est arrivé derrière les soldats ; on s’est rangé de façon à avoir de bonnes places quand se courra le circuit.

Entre Etienne, arrivant de gauche, l’air sombre, le chapeau sur le nez. Il est suivi de Phèdre, également de mauvaise humeur. Etienne va jusqu’à l’auberge, regarde à droite, à gauche, aux fenêtres.