Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/224

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Phèdre. — Enfin, voyons, où vas-tu ? Où allons-nous comme ça ?

Etienne, bourru. — Quoi ? nulle part… je marche.

Phèdre. — Non, mais t’es pas loufoque ?

Etienne. — Oh ! Je vous en prie, hein ? Vous êtes ma maîtresse, eh bien ! que ça te suffise !

Il pivote sur ses talons, gagne la gauche et va donner contre Le Brison qui, n’ayant pu prendre le train, arrive seulement.

Le Brison. — Enfin, monsieur, est-ce que ça va durer longtemps cette plaisanterie ? Qu’est-ce que c’est que cette promenade que vous nous faites faire ?

Etienne. — Oh ! permettez, monsieur, vous m’avez engagé pour courir le circuit, n’est-ce pas ?… jusque-là, je suis maître de mes actes ; je n’en dois compte qu’à Dieu !

Le Brison. — Eh ! Dieu ! Dieu ! qu’est-ce que vous voulez que ça lui fasse, à Dieu ? il n’a pas sa marque engagée, Dieu !… mais moi ! moi ! Enfin, le départ est dans un quart d’heure, tous les coureurs sont à leurs machines depuis l’aube.

Etienne. — Jourdain est à la nôtre, c’est comme si j’y étais.

Le Brison. — Et voilà ce que vous faites ! vous vous balladez et il faut que je vous suive, vous et madame votre maîtresse.

Phèdre. — Ah ! assez, toi, hein !

Le Brison. — Je suis absolument ridicule.

Phèdre. — Ca ne vous change pas.

Le Brison. — Ah ! mais, madame, permettez, vous n’avez plus le droit de me parler ainsi ! je ne suis pas avec vous.

Phèdre. — Dieu merci, non ! Au moins, maintenant, j’ai un jeune, un beau, un vigoureux…

Le Brison. — Oh ! Assez ! assez !

Phèdre. — J’ai Etienne, n’est-ce pas, mon chéri ?

Le Brison. — Assez, vous dis-je !

Etienne. — Ah ! oui, assez ! Je suis votre amant, c’est entendu ! Vous êtes ma maîtresse. Désormais, on est ensemble, eh bien ! c’est bon, on le sait ! n’en parlons plus.

Le Brison. — Il a raison, n’en parlons plus.

Phèdre, à Etienne. — Ah ! qu’est-ce que tu as, toi ?

Etienne. — Moi ? J’ai que c’est tout ça qui est cause du pétrin où je suis tombé. J’ai que je me dis que j’avais une femme, une femme à moi ! qu’on s’aimait ensemble, qu’on filait le parfait amour, que vous êtes entrée dans notre vie et que, désormais, tout ça c’est fini, disparu, envolé ! Voilà ce que je me dis.

Le Brison. — C’est avant, monsieur, qu’il fallait réfléchir à tout ça !

Phèdre. — Non, mais tu sais, si tu la regrettes, ta femme !

Etienne. — Moi ? Oh non ! oh non ! je peux regretter mon bonheur passé, mais ma femme !… aha ! après ce qu’elle a fait ! Quand on pense qu’elle ne s’est même pas demandé s’il n’y avait pas une raison à ma conduite, une raison de dignité d’homme, de probité commerciale, mettons même que j’aie eu une défaillance !… mais n’est-ce pas dans les moments de défaillance que le devoir d’une épouse est, plus que jamais, de ne pas