Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 6, 1948.djvu/231

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Serge. — De Saïgon ?

Paulette. — De Saïgon !

Serge. — Mais tu ne sais pas où c’est ! c’est en Cochinchine.

Paulette. — Qu’est-ce que ça me fait que ça soit en Cochinchine.

Serge. — Mais il faut des semaines pour y aller.

Paulette. — Comment des semaines ! à notre époque ? Mais c’est idiot ! mais je ne veux pas ! tu feras ta glace ailleurs. Qu’est-ce que t’as besoin d’aller si loin ! Fais ça à Puteaux.

Serge, riant. — A Puteaux, à Puteaux ! mais qu’est-ce que j’en ferais de ma glace, à Puteaux !… Ah ! tu te fais une idée des affaires.

Paulette. — Eh ! bien alors, tu ne feras pas de glace du tout. Merci ! te perdre dans un pareil moment ! du tout, tu resteras avec moi.

Serge. — Mais c’est impossible ! Je ne peux pas ! je n’en ai pas le droit.

Paulette. — En voilà une idée ! Pourquoi donc ça ! du moment que ça me va ! alors, tu me lâcherais parce que tu n’as plus le sou ? Eh bien ! ça serait du joli !

Serge. — Mais, voyons !

Paulette. — Mais c’est ça dont tu n’as pas le droit ! Pour qu’on dise que je t’ai ruiné et qu’après je t’ai planté là ! Ah, bien merci ! mais c’est ça qui me ferait du tort dans mes affaires.

Serge. — Mais puisque je ne puis plus rien te donner.

Paulette. — Eh ! bien, tu seras mon amant de cœur !

Serge. — Oh !…

Paulette. — Après tout, ça n’est pas si à dédaigner. C’est toujours le plus aimé.

Serge. — Tu n’y penses pas ! Accepter cette situation de partager avec un autre.

Paulette. — Mais on partage toujours, mon ami. Il n’y aura rien de changé ! et là, c’est toi qui auras le bon bout.

Serge. — Ah ! non, non !

Paulette. — Ah ! que tu es drôle !

Snobinet, même jeu. — Nom d’un chien ! et moi qui répète à une heure.

Paulette. — Enfin, tu ne comptes pas rester chaste ! tu verras bien d’autres femmes ?

Serge, avec un geste vague. — Dame, ça !

Paulette. — C’est ça ! alors, tant que tu aurais eu de l’argent, tu serais resté avec moi ! et maintenant que tu n’as plus rien c’est les autres qui en profiteraient ? Ah ! non, non !

Serge. — Mais je ne peux pas, voyons ! je ne dois pas.

Paulette. — Tais-toi ! d’abord pour toi-même ! pour ton crédit ! il ne faut pas qu’on sache que tu es ruiné ! C’est le seul moyen de te relever. Et puis, remarque, tu n’as pas de scrupules à avoir. Combien as-tu dépensé avec moi ?

Serge. — Je ne sais pas,… six cent mille francs.

Paulette. — Mais c’est énorme ! Aussi dix mille francs par mois et pour autant de cadeaux. C’est insensé ! On ne gâche pas l’argent comme ça ! Eh ! bien, écoute ! tu n’as qu’à supposer une chose, c’est que tu me donnais moitié moins et que tu m’as avancé le reste ! Comme ça tu m’entretiens toujours.

Serge. — Ah ! tu as une façon d’arranger les choses.

Paulette. — Mais non ! mais non ! je t’assure que j’ai raison. Oh ! seulement, bien entendu, Comme cet argent est dépensé et qu’il faut bien vivre, dame ! il faudra… il faudra…