Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 6, 1948.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

un de ces mots que la femme réserve à chaque instant aux êtres de sa prédilection : "oh ! ma gueule aimée ! oh ! ma petite gueule d’idiot ! " Mais ça se dit tous les jours ! Et alors ce cri du cœur, cet aveu échappé d’un désir contenu. (Avec passion.) Oh ! avoir toujours cette gueule d’idiot devant moi ! Cette petite gueule d’idiot !

Isidore- Oui ! ben, je ne l’avais pas compris comme ça !

Paulette. — Isidore, ingrat Isidore !

Mittwoch, théâtralement. Mais, malheureuse enfant mais tu l’aimes !

Isidore. — Hein !

Paulette, pudiquement. — Oh ! non, non !

Mittwoch. — Mais pourquoi t’en défendre ? Aujourd’hui ton amour est légitime ! Hier, oui, tu ne pouvais pas, je comprends ! La frontière des classes !… Mais aujourd’hui, Raclure est affranchi ! Raclure est un monsieur.

Paulette. — Oui ! oui !

Mittwoch. — Il est riche ! il est beau !

Isidore. — Oh ! non.

Mittwoch. — Est-ce que vous n’êtes pas faits l’un pour l’autre ?

Isidore. — Moi ! Moi !

Mittwoch. — Est-ce que vous ne ferez pas un beau couple tous les deux ?

Isidore. — Oui, oui ! Mais, monsieur le comte, monsieur le comte, qu’est-ce qu’il dira ?

Mittwoch. — Ne vous en préoccupez pas ! il n’a plus le sou.

Paulette. — Non, c’est fini nous deux.

Mittwoch. — Est-ce qu’elle n’est pas belle à souhait ! Vous voilà un gentleman, un de la haute société, eh bien ! il vous faut une maîtresse qui vous pose, eh bien ! est-ce que Paulette ne réalise pas l’idéal ?

Isidore. — Mon Dieu, est-ce que je rêve ?

Mittwoch. — Assez longtemps vous l’avez eue pour maîtresse… comme domestique, vous pouvez bien maintenant l’avoir pour maîtresse… comme amant.

Isidore. — Mon Dieu ! être l’amant de ma maîtresse ! avoir ma maîtresse pour amant !

Mittwoch. — Tu barbottes, Raclure, tu barbottes ! ,

Isidore. — Ah ! je ne sais plus ce que je dis ! Ah madame, est ce vrai ? est-ce possible ?

Paulette, se mettant sur les genoux d’Isidore et cachant sa figure dans son cou. — Isidore ! Ah ! j’ai honte ! Ne me regardez pas rougir !

Isidore. — C’est vrai ! c’est vrai ! Madame est ma maîtresse ! Je suis l’amant de Madame !

Mittwoch, au-dessus de la chaise-longue rapprochant leurs têtes. — Aimez-vous mes enfants, aimez-vous ! L’amour est la plus belle raison de vivre !

Scène VII

Les mêmes, Serge.

Serge, arrivant avec deux, bouteilles de champagne. — Voilà le champagne !

Mittwoch. — Aha !

Serge, poussant une exclamation de surprise à la vue du spectacle qui se présente à ses yeux. — Oh !

Isidore, voulant se lever. — Oh !

Paulette, le retenant. — Qu’est-ce qu’il y a ?