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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 7, 1948.djvu/266

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Emilienne, en peignoir du matin. — Eh bien ! qu’est-ce que tu fabriques là ?

Trévelin. — Tu vois ! Je mets des pitons. Je me suis dit : "Emilienne fait sa toilette, il y en a pour une heure !… j’ai le temps d’accrocher mes dernières acquisitions." (indiquant la gravure attachée.) Ça ne fait pas bien ?

Emilienne. — Si ! si.

Trévelin, qui est monté sur une chaise, et présente son autre gravure, en accrochant la corde au clou ; celle-ci simplement passée au piton, mais non attachée. — Trop de pente ! J’ai mis les pitons trop bas.

Emilienne. — Oh ! bien. Non ! écoute ! ce n’est pas une heure pour accrocher des tableaux, tu feras faire ça demain par ton valet de chambre.

Trévelin. — Non ! Non ! on n’est si bien accroché que par soi-même. Je les connais, les domestiques : s’ils placent une statuette, ils la mettent le nez au mur, un vase, le devant, derrière, une nappe, un tapis, le dessous dessus, ils me ficheraient ma gravure la tête en bas, j’aime autant pas !

Emilienne. — Soit, mais alors, tu peux remettre ça à demain

Trévelin, indiquant la place vide sur le panneau. — Tu crois ?… Ça ne te gêne pas ce trou ?

Emilienne. — Oh ! pour dormir.

Trévelin. — Ben oui, mais avant de dormir.

Emilienne, gentiment. — Je te regarde.

Trévelin. — Je ne te dis pas, mais…

Emilienne. — Oh ! "Je ne te dis pas ! " C’est admirable ! Coquette, va ! Tu trouves ça naturel que je te regarde ! Ça t’est dû ?

Trévelin. — Eh quoi ! madame, c’est le mariage ! la loi dit…

Emilienne. — Oui ! oh bien ! la loi… tu sais dans ces moments-là… s’il n’y avait qu’elle pour que je regarde, ah bien ! mon gros !

Trévelin, allant poser gravure et corde sur une chaise. — Petite anarchiste, va ! On sonne au téléphone.

Emilienne, traversant le lit à genoux pour aller au téléphone. — Petite anarchiste, parfaitement. (A genoux sur le lit, parlant au téléphone.) Allô… Comment ?… Si j’ai terminé ma communication… Quelle communication ? J’étais pas en communication ! (A son mari). Tu étais en communication, toi ?

Trévelin. — Non !

Emilienne, au récepteur. — Nous n’étions pas en communication !… Comment ? Non, c’est pas moi qui ai demandé le 626-36… (A son mari.) C’est pas toi qui avais demandé le 626-36 ?

Trévelin. — Non !

Emilienne. — Non, c’est pas nous qui avons demandé le 626-36… Oh ! il n’y a pas de mal… Quoi ? Mais oui. Nous demandons si souvent des communications que vous ne nous donnez pas, que vous pouvez bien nous en donner que nous ne vous demandons pas !

Trévelin. — Allons, as-tu fini de plaisanter avec les demoiselles du téléphone.

Emilienne. — C’est pas une demoiselle, c’est un monsieur du téléphone.

Trévelin. — Raison de plus.

Emilienne, dans le récepteur. — Non ! Non ! . C’est à mon mari ! Je dis que vous n’êtes pas une demoiselle, mais un monsieur !… Quoi ?… Oh ! Oh ! allons, voyons monsieur !

Trévelin, sévèrement. — Emilienne !

Emilienne. — Oui, eh bien ! je coupe, monsieur ! (Elle raccroche le téléphone l’air choqué, mais ravie dans le fond.) Oh !… il m’a répondu une chose… tout à fait inconvenante.