Emilienne, avec un ton qui n’admet pas de réplique. — Oui ? Eh bien ! non ! Ça non
Trévelin. — Comment, non ?
Emilienne. — Non ! Non ! C’est inutile ! je te dis non !
Trévelin. — Mais je ne serai pas long.
Emilienne. — Ça m’est égal, je te dis non ! Si tu crois que je vais te laisser… Oh ! non ! Je t’ai épousé, c’est pour t’avoir avec moi ! ou alors, je sors.
Trévelin. — C’est trop fort !
Emilienne. — La femme doit suivre son mari, n’est-ce pas ?
Trévelin. Pardon ! Partout où il lui plaît de la conduire, mais quand ça ne lui plaît pas…
Emilienne. — Alors, il reste à la maison. Tous les maris que je connais restent auprès de leurs femmes.
Trévelin. — Où as-tu vu ça ?
Emilienne. — Tu vas me faire le plaisir de faire comme eux !
Trévelin. — Ah ! Mais tu m’embêtes à la fin ! Je ne peux pas sortir sans toi maintenant ? Je sais traverser une rue, tu sais.
Emilienne. — Mais non !
Trévelin. — Je ne sais pas traverser une rue ?
Emilienne. — C’est pas à ça que je réponds, mais à ta première question.
Trévelin. — Ah ! non, tu sais !…
Emilienne. — Non, mais tu te moques de moi ! Je te propose de sortir ! tu me forces à me mettre au lit sous prétexte qu’on est fatigué. Et une fois que tu m’as fait coucher, tu me déclares tranquillement que tu vas aller te promener.
Trévelin. — Le temps de me dégourdir les jambes.
Emilienne. — Tu te les as assez dégourdies comme ça ! Tu es sorti trois soirs de suite, n’est-ce pas ?
Trévelin. — Oui, mais avec toi.
Emilienne. — Eh bien, oui, avec moi. Il n’y a pas de raison pour que tu sortes sans moi. Qu’est-ce que tu as donc à faire dehors, sans moi, je te prie. Allez, allez, je sais ce que c’est quand on laisse prendre le pli. Tu vas me faire le plaisir de rester ici.
Trévelin. — Bon. Bon !… c’est très bien. Je ne sortirai pas.
Emilienne. — C’est vrai, ça !
Trévelin. — Mais c’est entendu. Je te dis, je ne sors pas, là ! je reste !
Emilienne. — Je te demande un peu où Monsieur a à aller.
Trévelin. — Mais nulle part ! puisque je reste ! qu’est-ce qu’il te faut de plus !
Emilienne. — Eh ben ! tu ne fais que ton devoir.
Trévelin. — Mais vraiment, si j’avais su que c’était ça, le mariage.
Emilienne. — Oui, oh ! tu es bien à plaindre !
Trévelin. — Se voir traiter comme un collégien… la consigne, les arrêts…
Emilienne. — Je voudrais un peu voir ce que tu répondrais, toi, si je venais te dire : "Tu vas te coucher, et moi, je vais aller faire un tour."
Trévelin, haussant les épaules. — Oh là ! est-ce que c’est la même chose ?
Emilienne. — Naturellement, ça n’est pas la même chose.
Trévelin. — Evidemment, un homme est un homme, et une femme est une femme !
Emilienne. — La Palisse, va !
Trévelin. — L’homme est un soutien pour sa femme, la femme n’en est pas un pour son mari, donc, il peut sortir sans elle.