Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 7, 1948.djvu/275

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Emilienne. — Oui. Oh ! pour ce qui vous arrange, vous avez vite fait d’accommoder les choses.

Trévelin. — En attendant, si tu crois que c’est un bon moyen pour retenir un mari que de lui faire sentir le poids de sa chaîne !

Emilienne, haussant les épaules. — Sa chaîne !

Trévelin, avec un ton saccadé. — Mais c’est très bien, tu ne veux pas que je sorte ! je ne sortirai pas ! voilà tout !

Emilienne. — Ben oui !

Trévelin, id. — Je suis marié ; je suis marié ! tant pis pour moi !

Emilienne. — Oui !

Trévelin, id. — C’est gai ! (Emilienne a un geste du menton comme pour dire : "J’y peux rien".) C’est très bien !… (il arpente la chambre avec des airs de résignation.) C’est très bien !… (tout en marchant, il pousse de gros soupirs d’homme qui respire mal) pffue !…

Il prend un éventail sur la cheminée, et s’en évente froidement.

Emilienne, qui a suivi des yeux tout ce manège. — Tu étouffes toujours !

Trévelin. -Qu’ça te fait

Emilienne. — Oh ! pardon.

Trévelin, sec. — Evidemment, j’étouffe.

Emilienne. — Pourquoi n’ouvres-tu pas la fenêtre, puisque ça ne me gêne pas ?

Trévelin, sec. — Merci ! J’aime mieux souffrir !

Emilienne. — Ah ! et puis, zut, tu sais !

Trévelin, soupe au lait. — Mais oui, zut, zut ! c’est entendu ! je ne te demande rien, alors, laisse-moi tranquille.

Emilienne. — Ah ! la la !

Trévelin. — Ah ! oui. Oh ! la la !

Il arpente nerveusement la pièce, puis s’arrête devant la commode, sur laquelle est un service "verre d’eau", il se verse à boire, et avale par petites gorgées entrecoupées de gros soupirs poussifs.

Emilienne, après un temps, rendant les armes. — Ah ! tiens, va-t-en, va, sors !

Trévelin. — Moi !

Emilienne. — Oui, toi ; tu as un air de victime.

Trévelin, sec. — Merci, je ne sors pas !

Emilienne. — Mais si, va ! puisque je t’autorise…

Trévelin, sarcastique. — "Tu m’autorises ! " Eh bien, non, non ! Maintenant, je ne veux plus.

Emilienne. — Mais va, je te dis ! A quoi bon bouder contre ton ventre.

Trévelin. — Non, non, non et non ! inutile d’insister ! Tu as voulu que je reste… eh ! bien je reste, n’en parlons plus.

Emilienne. — Mon Dieu que tu fais des histoires pour tout.

Trévelin, aigre. — Mais non ! C’est tout naturel ! Ça. t’est désagréable que je sorte.

Emilienne. — Ce qui m’est désagréable avant tout, c’est de te voir faire la tête.

Trévelin. — Je ne fais pas la tête ! Pourquoi ferais-je la tête. Il est entendu que dans un ménage, c’est la femme qui commande et le mari qui’ n’a qu’à obéir ! Eh bien, j’obéis : je n’avais qu’à ne pas me marier. Je l’ai fait ! tant pis pour moi.