Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/190

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Arnold, avec aplomb. — Non !… Hein ? Oui.

Stanislas. — Qu’est-ce ça signifie ?

Arnold. — Je vais dire à Monsieur !… C’est, c’est exprès… pour… pour le fatiguer !… Je le fatigue ainsi que Monsieur le voit…

Stanislas. — Oui !… Eh bien ! dorénavant, vous me le laisserez fatiguer moi-même ! Trop de zèle, mon garçon ! Faites-moi le plaisir d’aller enlever ça et de passer un veston à vous.

Arnold. — Comme Monsieur voudra, mais si Monsieur veut bien se renseigner, tout le monde lui dira…

Stanislas. — C’est bon !… et allez monter les sacs.

Arnold. — Ah ! non !

Il a une mimique expressive signifiant : "Merci et l’autre qui est là".

Stanislas. — Quoi ?

Arnold. — Hein ?… euh ! oui, Monsieur… (A part.) Mon Dieu !… et impossible de la faire filer.

Stanislas. — Eh bien ! allez ! Qu’est ce que vous faites-là, sur place ?

Arnold. — Oui, Monsieur. (A part.) Il n’y a qu’une fenêtre au troisième étage. Je ne peux vraiment pas lui demander un pareil sacrifice.

Il sort.

Stanislas, à Sabine. — Eh bien ! ma chérie, comment ça va ?

Sabine. — Bien, merci.

Stanislas. — Le chemin de fer ne vous a pas trop fatiguée ?

Sabine. — Oh ! vous me dites "vous" comme en plein jour.

Stanislas. — C’est vrai, on est si peu habitué à être debout à pareille heure,…. et sans ce voyage… Ah ! maudite dépêche de mon frère qui, en nous forçant à rentrer, à troublé notre gentille lune de miel.

Sabine. — Elle l’a fait changer de place, voilà tout.

Stanislas. — Elle était si bien où elle était ! (Quittant Sabine et remontant au-dessus de la table pour redescendre à droite et tout en prenant les lettres à son adresse qu’il parcourra des yeux par la suite, tout en parlant.) Aussi, cet animal de Constantin, je lui avais assez dit : "Avec ta manie d’automobile, tu conduis comme une mazette, ça te jouera une mauvaise farce." Non, il a fallu qu’il fasse ce tour de France avec son Ambassadeur et les autres secrétaires de la Légation, soi-disant pour son avancement. (Les yeux au ciel.) "Son avancement" ! Il est bien avancé, en effet !… Les v’là tous les quatre sur le flanc, l’Ambassadeur, Constantin et les autres secrétaires, pour avoir pris un mur pour une route, nationale. Résultat : c’est mon pauvre Stanislas qui est obligé de s’improviser diplomate et de revenir dare dare à Paris pour se mettre à la disposition de l’envoyé extraordinaire du royaume d’Orcanie. Tout ça parce que toute la légation est sur le dos. Ah ! je la retiens, celle-là, oui ! (Il met son courrier dans sa poche.) Enfin si tu me dis que tu n’es pas trop fatiguée ?

Sabine. — Vous savez bien que vous m’avez habituée aux nuits blanches.

Stanislas, touché. — Chérie !… (Il l’embrasse. Dans ce mouvement ils pivotent tous les deux sur place, ce qui met Stanislas 1 et Sabine 2, gagnant la gauche de la scène.) Ah ! le voilà, le vrai bonheur ! Les voilà, les vraies joies !…

Arnold, entrant avec les sacs. — Voilà les sacs !

Stanislas. -… les voilà !

Arnold, croyant qu’on lui parle des sacs. — Oui, Monsieur, les voilà !