Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/210

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tient le plateau le remet à un valet de pied qui passe et chacun redescend avec une chaise. Arnold, ahuri, regarde le manège pendant que le Duc dit à mi-voix à sa femme.) Pas assez fort pour m’en remontrer.

Arnold, aux officiers qui viennent comme un seul homme lui présenter leurs trois chaises littéralement accolées les unes aux autres, confus et ne sachant laquelle prendre. — Pardon ! Pardon !

Il s’assied moitié sur celle de gauche, moitié sur celle du milieu, puis voyant le Duc aller à lui avec l’intention de s’asseoir, se fait tout petit à l’extrême bout de celle de gauche.

Le Duc, s’asseyant franchement près de lui, tandis que la Duchesse se rapproche du groupe et que les trois officiers descendent à gauche. — Et maintenant, causons comme deux collègues.

Arnold. — Avec moi !… moi, un simple…

Le Duc, très diplomate. -…maître d’hôtel. Oui, je sais, mais souvent, sous la peau du maître d’hôtel, se cache un diplomate avisé !

Arnold, à part. — Qu’est-ce qu’il chante ?

Le Duc, machiavélique. — Savez-vous que vous ressemblez furieusement à quelqu’un de notre connaissance.

Arnold. — Ah ! vraiment !… A qui donc ?

Le Duc, brusquement, et les yeux dans les yeux. — A monsieur Constantin Slovitchine.

Arnold. — Moi ?

Le Duc, vivement. — Vous vous troublez !

Arnold. — Moi ? Ah ! bien !

Le Duc, rapidement, pour ne pas lui donner le temps de réfléchir - Ne seriez-vous pas, par hasard, Monsieur Constantin Slovitchine ?

Arnold. — Moi ?… moi ?… Ah ! bien, celle-là, par exemple (Changeant de ton malicieusement.) Ah ! je vois ce que c’est ! C’est Madame qui vous a dit…

Le Duc, très matois. — Madame ?

Arnold, riant. — Oui.

Le Duc, brusquement. — Et pourquoi m’aurait-elle dit ?

Arnold, interloqué. — Mais… mais…

Le Duc, comme un juge d’instruction. — Vous reconnaissez donc que vous êtes monsieur Slovitchine.

Arnold. — Mais jamais de la vie ! En voilà une idée !

La Duchesse, intervenant. — Mais pourquoi ne voulez-vous pas avouer ?

Arnold. — Mais parce que… (A part.) Ah ! la mâtine. (Haut.) Mais parce ne je ne le suis pas.

Le Duc, redevenant diplomate. — Ah !… Bien ! Bien !… C’est entendu. Vous n’êtes pas monsieur Slovitchine.

Arnold, à part. — C’est pas malheureux !

Le Duc, d’un air détaché comme un homme qui ne saurait insister. — Parlons donc d’autre chose ! Qu’est-ce que vous pensez du projet de mariage pour notre jeune Majesté ?

Arnold. — Ah ! Il y a un projet ?

Le Duc, gouailleur. — Naturellement, vous l’ignorez ! Toute l’ambassade le sait, mais vous !…vous l’ignorez. Arnold, riant en voyant les officiers rire. — Qu’est-ce que vous voulez, Excellence ?

Le Duc. — Bien !… Bien !… Je vous l’apprends donc. Je vais même vous apprendre autre chose.