Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/214

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Le Duc. — Quel idiot ! (A ce moment, on entend au lointain : "Portez armes ! Présentez armes ! " Tous trois restent comme cloués sur place. En même temps, on entend l’orchestre tzigane attaquer l’hymne national orcanien, et l’on voit s’ouvrir tout grand les trois portes du fond. Par ces portes on aperçoit les invités dont le nombre a grossi, massés au fond et regardant dans la direction de droite.) Mon Dieu, c’est le Roi !

Stanislas. — Le Roi ?

Une Voix, au lointain. — Sa Majesté le Roi !

Le Duc, comme fou, allant de l’un à l’autre. — Le Roi, c’est le Roi ! Vite ! Le chandelier ! Où est le chandelier ?

Bérézin remonte et fait signe au valet de pied qui arrivait avec le chandelier à cinq branches.

Une Voix, plus rapprochée. — Sa Majesté le Roi !

Le Duc. — Mais il est impossible que nous laissions voir le prince dans cet état. Vite, Bérézin, descendez et dites que l’on fasse passer Sa Majesté par l’escalier privé et qu’on la mette au lit ! Nous, nous dirons n’importe quoi.

Bérézin. — Oui, Excellence.

Il remonte vivement, mais se trouve arrêté par l’arrivée du cortège.

1er Officier, Paraissant en tête et annonçant. — Sa Majesté le Roi !

Le Duc, avec un mouvement de nerfs. — Ah !… trop tard !…

Il prend le chandelier des mains du valet de pied qui sort aussitôt, et, le front courbé, attend l’entrée de son Roi. Il est ainsi un peu à gauche, à distance de l’entrée du milieu. Pendant ce jeu de scène, on a vu les invités se ranger à mesure de façon à former la haie à l’arrivée du Roi. Paraît Chandel en tenue royale. Il est absolument ivre et avance la main à sa coiffure comme pour saluer et en essayant de marcher droit entre les deux officiers qui l’enserrent de leur corps, pour tâcher de dissimuler son état à l’assistance. L’orchestre joue toujours l’hymne, le recommençant au besoin pour ne cesser que lorsque le Duc, plus loin, leur en donnera l’ordre.

Les Invités, étonnés. — Ah !

Le Duc, s’inclinant. — Sire !

Chandel, qui, toujours entre les officiers, est descendu en scène et arrive jusqu’à lui. — Ah ! mon pauvre vieux, que je suis malade.

Le Duc, relevant la tête. — Qu’est-ce que c’est que ça ? (Reconnaissant Chandel.) Mais c’est le pion !… (Il passe le chandelier à Bérézin et court aux tziganes :) Arrêtez les tziganes, là-bas ! Arrêtez l’hymne ! On s’est trompé de Roi, ce n’est pas le Roi ! (L’hymne s’arrête. Effarement général des invités. Les portes se referment. Redescendant à Chandel qui n’a pas cessé de marmotter des choses inintelligibles.) Le pion ! Le pion à la place du Roi, et dans son uniforme ! Quelle hérésie ! Allez ! Enlevez cet ivrogne et déshabillez-le !

Un Officier. — Oui, Excellence !

Chandel. — Tu comprends, mon pauvre vieux, si le suffrage universel !…

Le Duc. — Oui, c’est bon ! Allez !… Allez-vous en !

Bérézin, faisant la police. — Allez ! allez ! enlevez ça !