Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/121

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Margot. — Si fait !… mais…

Henri (fait signe aux pages qui se retirent). — Ne craignez rien, Madame. Je ne viens pas réclamer mes droits de mari. Je n’ai pas oublié le pacte qui nous unit !… Alliés et pas époux !

Margot (avec un soupir de soulagement). — Ah !

Henri. — Mais il importait, au point de vue politique, qu’on me vît entrer dans la chambre de la Reine la nuit de mes noces… et qu’en ce lit conjugal… (Il fait un pas vers le lit.)

Margot (s’interposant). — Sire !

Henri. — Mais la Reine me paraît bien troublée.

Margot. — Sire !… C’est que la présence de Votre Majesté… pour la première fois chez moi.

Henri. — Ouais ! Ouais ! (à part). Il y a quelqu’un ici. Ce doit être mon cousin le duc d’Alençon.

Margot. — À quoi pensez-vous, Sire ?

Henri (qui pendant ce qui précède a pris une cravache qui se trouvait sur un meuble). — À rien !… Je regardais le pommeau de cette cravache qui est vraiment d’une ciselure exquise. (À part, apercevant les pieds de Follentin). Ah ! Ah ! voilà des pieds qui appartiennent sûrement à quelqu’un !

Margot (à part, suivant le regard d’Henri et apercevant les pieds). — Dieu, ses pieds !

Henri. — Ah ! vive Dieu, Madame !… Ce sont aussi vos bottes de chasse que j’aperçois au pied de votre lit.

Margot. — Hein ?… Non… euh !… Oui, Sire.

Henri. — Ah ! mordi !… Il faut que votre bottier soit le dernier des ivrognes pour avoir ainsi vu double en vous prenant mesure ! Fi ! donc. Les pieds mignons de la Reine dans de pareils bateaux,

Il donne un coup de cravache sur les pieds de Follentin.

Margot. — Elles sont en effet un peu grandes, et je comptais en faire l’observation à…

Henri. — Un peu grandes ! C’est-à-dire qu’elles sont de taille à chausser le pied de notre cousin le duc d’Alençon.

Il donne un second coup de cravache.

Voix de Follentin. — Oh !

Henri. — Il n’y a pas de : « Oh ! »… Madame, votre bottier a de la chance de ne pas tomber sous ma main, car j’ai là une cravache qui me démange !… (le rideau tremble violemment). Mais voyez donc, Madame !… Il y a sûrement un courant d’air dans votre chambre. Voyez comme ce rideau s’agite !…

Margot. — Oui ! je sais. C’est un vent coulis qui vient de la porte.

Henri. — Comme c’est désagréable !

Il donne un énorme coup de cravache sur le rideau, à la hauteur du ventre de Follentin, qui, sous le coup, rentre brusquement le ventre, ce qui fait pointer la tête sous le rideau.

Margot. — Mon Dieu ! Le malheureux !

Henri. — Oh ! Voyez donc cette poussière dans les rideaux quand on tape dessus ! Regardez-moi ça, quelle poussière ! Voyez encore ! (coup de cravache) Tenez ! (On aperçoit sous le rideau la silhouette de Follentin, qui se retourne et présente son postérieur aux coups) ; Regardez-moi donc ça !… Regardez-moi donc ça ! (Il porte chaque fois un coup de cravache).