Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/193

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Madame Follentin. — Quoi ? C’est ce qui se porte maintenant !

Follentin. — Ah ! bien vrai !… Eh ! bien, et Marthe ? Et Gabriel ?… Qu’est-ce que tu en as fait ?

Madame Follentin. — Marthe et Gabriel ? Ils viennent de partir pour Bornéo !

Follentin. — Comment, pour Bornéo ?

Madame Follentin. — Ah ! oui, c’est vrai ! J’oubliais de te dire ! Je viens de les marier, ces enfants !

Follentin. — Les marier ?

Madame Follentin. — Oui, ils s’aiment depuis si longtemps, ces petits. J’ai voulu leur être agréable !

Follentin. Ah, çà ! voyons ! Tu perds la tête ! Tu divagues !

Madame Follentin. — Du tout, du tout ! En traversant « Le Beau jardinier » au rayon des mariages, il y a précisément un officier municipal qui y est attaché. Alors, ça c’est réglé séance tenante !

Follentin, n’en croyant pas ses oreilles. — Tu les as mariés ?

Madame Follentin. — Voilà une heure que je te le dis !

Follentin. — Sans mon consentement ?

Madame Follentin. — Naturellement ! sans ton consentement ! Aujourd’hui le père n’a plus voix au chapitre. Du moment que l’on a le consentement de la mère.

Follentin. — Ah ! c’est trop fort !

Madame Follentin. — Mais puisque c’est comme ça que ça se fait aujourd’hui !

Follentin. — Oui ! Eh, bien ! je m’en fiche pas mal de ce qui se fait aujourd’hui !… Et puis, et puis… en voilà une existence ! Rester en tête-à-tête avec toi !… Sans compter que tu as cent ans de plus !…

Madame Follentin. — Mais, toi aussi, tu as cent ans de plus !

Follentin. — Oui, mais moi… c’est moi !… Ah ! non alors !… non ! non !

Madame Follentin. — Oh ! rassure-toi, je n’ai aucunement l’intention de me cantonner dans le tête-à-tête, et la preuve c’est que ce soir même je vais m’offrir une petite fête. Tiens ! justement avec les deux jeunes gens de tout à l’heure que nous avons retrouvés « Au beau jardinier » où ils sont commis au rayon des gants.

Follentin. — Qu’est-ce que tu dis ? Tu vas aller faire la noce ?

Madame Follentin. — Oui, je suis dans le train !

Follentin. — Écoute-moi, Caroline !… Je te défends !…

Madame Follentin. — Tu me défends ?… Tu vas me faire le plaisir de rentrer à la maison, et un peu vite !… Et à l’avenir, de rester dans ton rôle d’homme marié !…

Follentin. — Qui est ?

Madame Follentin. — Qui est de surveiller le ménage, de vérifier le linge, de faire les raccommodages.

Follentin. — Moi ! moi !… Ah ! non, non ! Je t’ai épousée sous un régime où la femme devait obéissance à son mari, je revendique mes droits !

Madame Follentin. — Oui ! Eh bien ! les voilà, tes droits.

Elle lui allonge une gifle.

Follentin. — Oh !

Les deux jeunes gens entrent.

Les Deux Jeunes Gens. — Nous sommes en retard ?…