Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 9, 1948.djvu/70

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Bienencourt. — Oh, oui ! n’est-ce pas ? C’est si bête !… De vieux camarades comme nous !… Songez que voilà quinze ans que nous travaillons côte à côte au ministère des Affaires Etrangères.

Madame Follentin. — C’est évident ! Mais, entre nous, vous avez manqué de doigté.

Bienencourt. — Mais en quoi ?… En quoi ?… Enfin, qu’est-ce qu’il a contre moi ?

Marthe. — Ce qu’il a ? Il a l’éléphant.

Bienencourt. — L’éléphant ?

Madame Follentin. — Eh ! oui, l’éléphant !

Marthe. — Vous lui avez soufflé l’éléphant ! C’est pas chic !

Bienencourt. — Ah ! L’éléphant de Siam ! Mais c’est le roi lui-même qui m’en a nommé commandeur.

Madame Follentin. — Oui, parce que vous vous êtes fait désigner pour l’accompagner pendant son séjour en France.

Marthe. — Ça revenait à papa !

Bienencourt. — Mais, sapristi ! si on m’a désigné, c’est que je parlais le siamois et qu’il ne le parlait pas !… Pourquoi ne le parle-t-il pas, Folletin ?

Marthe (gaiement). — Parce qu’il ne l’a pas appris.

Madame Follentin. — C’est une raison !

Bienencourt. — Ah, non ! vraiment, tout cela est trop stupide, et il est grand temps que cela finisse !…

Madame Follentin. — Ça, je suis de votre avis !

Bienencourt. — Eh bien ! aujourd’hui, c’est l’occasion ou jamais ! Follentin va être nommé chef du bureau où je suis moi-même sous-chef !

Madame Follentin et Marthe. — Ah ! vous croyez ?

Bienencourt. — C’est sûr !… Eh ! bien, alors ! « Soyons amis, Follentin, C’est moi qui t’en convie » comme dit Corneille.

Madame Follentin. — Corneille a dit ça ?

Marthe. — Oui,… à un pied près !

Bienencourt. — Alors, n’est-ce pas, Madame, je compte sur vous !

Madame Follentin. — C’est entendu !

Bienencourt. — Merci, chère Madame, pour cette parole de paix, et à bientôt. (À Marthe) Mademoiselle.

Marthe (faisant une petite révérence). — Monsieur Bienencourt, à la prochaine !

Madame Follentin. — Tenez, par ici.

Coup de sonnette, Mme Follentin qui est passée dans l’antichambre avec Bienencourt ouvre la porte d’entrée.
Un garçon de recette paraît.

Madame Follentin. — Qu’est-ce que c’est ?

Le Garçon de Recette. — C’est pour un effet de 500 francs.

Marthe (à part). — Oh ? Zut !

Madame Follentin. — Parfaitement, je sais ! (Le garçon de recette descend en scène). Justement, mon mari n’est pas là. Si vous voulez laisser la fiche.

Marthe (à part). — Ce qu’ils sont exacts, ces garçons de recette !… C’est dégoûtant !

Madame Follentin. — Eh bien ! au revoir, Monsieur Bienencourt.

Bienencourt. — Au revoir, Madame ! Au revoir et merci.

Il sort.