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Scène IV

Madame FOLLENTIN, MARTHE, FOLLENTIN
Ensemble

Marthe. — Ah ! papa !… te voilà !

Madame Follentin. — Ah ! quel bonheur ! Enfin, c’est toi !

Marthe. — Nous commencions à nous inquiéter.

Madame Follentin. — Comme tu reviens tard !

Follentin (de mauvaise humeur, jette son chapeau sur une chaise et se promenant de long en large). — Ah ! non, non, non ! Ah ! sale humanité !

Madame Follentin. — Qu’est-ce que tu as ?

Marthe (à part). — Il est à la grinche.

Follentin. — J’ai… que l’espèce humaine me dégoûte !… J’ai que tout va de mal en pis !… J’ai été voir mes créanciers, pour gagner du temps. Je les ai trouvés de pierre. Si je ne paie pas, on me poursuit à boulets rouges. Comme si le papier timbré vous faisait trouver de l’argent quand vous n’en avez pas !

Madame Follentin. — Mon pauvre ami !

Marthe. — Ne te fais donc pas de coton, papa !

Follentin (se levant). — Et voilà ton cher oncle, voilà ce dont il est cause !

Madame Follentin. — Oh !

Follentin. — Il doit être content de son ouvrage, là-haut !

Madame Follentin. — Enfin, voyons, ce n’est pas de sa faute.

Follentin. — Il n’avait qu’à faire un testament inattaquable ! Quand on se mêle de laisser de l’argent aux gens, on s’arrange pour ne pas compliquer leur vie.

Marthe. — Il ne pouvait pas prévoir.

Follentin. — C’est ce que je lui reproche ! Est-ce que je lui demandais quelque chose, moi ? J’étais très heureux ! Encore si j’avais ces 320 000 francs,… je ne dirais rien !… mais tant que je ne les ai pas, je m’en fiche, moi, de ces 320 000 francs. Enfin ! je n’ai pas raison ?

Madame Follentin. — Écoute, ce n’est pas un reproche que je fais, mais si tu avais été un peu plus raisonnable, si tu n’avais pas acheté à tort et à travers.

Marthe. — Tu aurais pu payer le tapissier.

Follentin. — Ah ! bien ! bien ! Naturellement, c’est de ma faute ! On me dit : « Vous héritez de 320 000 francs. » J’aurais dû deviner que 320 000 francs ne sont pas toujours 320 000 francs. Et parce que cette brute !…

Madame Follentin. — Quelle brute ?

Follentin. — Ton oncle !

Madame Follentin. — Je t’assure que tu exagères.

Marthe. — S’il nous a laissé 320 000 francs, ce n’est pas dans une mauvaise intention.

Follentin. — Est-ce que je sais ! Le monde est si méchant ! Il n’y a qu’à voir la joie des gens quand il vous arrive quelque chose de désagréable. Tiens ! rien que tout à l’heure, en revenant — Dieu sait si j’étais embêté ! — Eh bien ! je n’ai rencontré que des mines épanouies, des gens qui riaient ! J’ai la mort dans l’âme et Paris illumine !