Page:Feydeau - Théâtre complet IV (extraits), 1995.djvu/68

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Cora Avez-vous pensé aussi aux ennuis que vous occasionnera un pareil mariage ? qui sait si, en voyant les mépris dont les autres m’accablent, vous ne me mépriserez pas vous aussi, à votre tour ? Songez-y, je suis américaine, et en France, ce mot est synonyme de déclassée. Parce que nous ne savons pas baisser les yeux comme vos jeunes filles de France et que nos manières sont un peu cavalières, toute femme comme il faut évite notre contact ; notre présence ferait une tache dans leurs salons et la plupart des hommes croiraient se mésallier en épousant une fille comme nous.

Roger Ah ! Cora, il faut que vous ayez une bien mauvaise opinion de moi pour me croire capable de m’arrêter à de tels préjugés.

Cora Monsieur de Lérigny, vous êtes un gentleman… vous n’êtes pas de ceux qui m’admirent tout en me méprisant et vous savez rester au dessus du qu’en dira-t’on… je vous en remercie… Allez, malgré mon insouciance, il est des moments où je sais être sérieuse. (Elle reste un moment rêveuse puis part d’un grand éclat de rire) Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! Que dira madame de Géran quand elle saura… Elle qui disait l’autre jour à Madame de Nerval qui s’est empressée de me le rapporter que j’étais de ces femmes qu’on n’épousait pas. Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! je suis contente, monsieur de Lérigny !

Roger Alors, vous consentez…

Cora À me marier… plutôt deux fois qu’une !

Roger. interdit

Je ne vous en demande pas tant… vous exagérez !

Cora Que voulez-vous, monsieur de Lérigny, je suis franche, aussi ; c’est comme cela qu’on nous élève en Amérique et cette éducation en vaut bien une autre… Depuis le jour où l’on m’a rapporté les propos de madame de Géran, je me suis décidée à me marier pour faire taire cette mauvaise langue… j’ai fait connaître qu’avant mon mariage aucun homme n’entrerait plus dans ma maison, à moins que ce ne fût pour le on motif. Presque tous ont cédé ; je ne les ai plus revus. (amèrement) Devenir l’époux d’une américaine, ah ! fi ! quelle honte !… Ils ont tous déserté : seuls, vous et le baron Tristan vous avez continué vos visites ; l’idée d’une mésalliance, aux yeux des parisiens, du moins, ne vous a pas effrayés ; vous m’êtes restés