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CHAPITRE V

L’arrivée de l’ancien missionnaire fut comme une lumière dans le logis. Gérard eut une joyeuse exclamation et s’élança vers l’ami de toujours.

Le P. Archime le serra dans ses bras en disant :

— Te voici rentré, mon cher Gérard… Je suis bien aise de te voir… La traversée ne t’a pas trop abattu ?

En prononçant ces paroles, le prêtre examinait profondément Gérard, comme s’il voulait pénétrer au fond de son âme.

Il avait mesuré toute l’étendue de sa détresse en entendant son cri de joie qui ressemblait à un cri de soulagement. Il sentait que le jeune homme acceptait mal la situation.

Cependant, il crut s’être trompé, quand le banquier parla :

— Gérard est admirable… Son changement de fortune le laisse à peu près indifférent… Il est presque satisfait d’entreprendre la lutte pour la vie…

— Ah ! tant mieux ! tant mieux !… riposta le missionnaire en scrutant le visage du jeune homme, ce sont là de bonnes paroles… Je venais pour réconforter, pour consoler, et je constate que j’en ai plus besoin que vous… C’est parfait.

Il eut ce rire épanoui qu’on aimait parce qu’il chassait le souci des moindres replis de l’âme.

— Que c’est encourageant de rencontrer sur sa route des caractères forts qui ne s’insurgent pas contre les décrets de la Providence…

— C’est tellement inutile… laissa tomber M.  Manaut.

— Malheureusement, bien des gens ne raisonnent pas comme toi, mon cher ami… On se figure souvent qu’en se plaignant et en larmoyant, la situation changera et se travestira magiquement en joie et en beauté… Chacun se croit si intéressant et si digne d’exciter toutes les pitiés…

Gérard écoutait. Il essayait de garder son masque plein de sérénité, mais il ne se contraignait qu’avec peine.

— Que vas-tu faire, Gérard ?

Cette question directe le laissa sans réponse.

En une vision, passa devant lui le tableau d’un jeune homme assis à une table de travail, dans une administration quelconque. Du matin au soir, plume aux doigts, front penché sur la feuille, il serait là, aux ordres, lui qui ne savait pas trop ce qu’était le mot obéir…

Au bout de quelques secondes, il se ressaisit pour murmurer :