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Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/91

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— Pauvre cher papa !

— Ne nous attendrissons pas. Je n’ai jamais voulu te parler de ces tristesses-là et je me demande pourquoi je m’y risque aujourd’hui. C’est sans doute parce que je vois que la situation s’améliore là-bas… Quelle chance de pouvoir agir !…

Gérard écoutait son père non sans joie. L’énergie du banquier rayonnait sur son visage.

Une nouvelle perspective s’ouvrait devant Gérard : une situation en Espagne, car il accompagnerait son père.

La pensée de Denise le traversa. Aurait-il enfin le moyen de transformer le rêve en réalité ? Il l’espérait…, pourvu que la jeune fille ne perdît pas patience.

Ce fut dans des dispositions plus sereines encore que Gérard considéra sa vie actuelle, et le lendemain, quand il pénétra chez les Plit, il était rempli de gaieté.

— Salut, Manaut ! s’écria Plit en allant au-devant de son camarade.

Gérard n’avait pas revêtu de complet. Il était resté on combinaison de travail. Il s’avança sans gaucherie, et dans un mouvement irréfléchi, obéissant au rite mondain, il alla droit à la maîtresse de la maison et s’inclina gravement devant elle.

La pauvre femme était ahurie par tant de politesse, et comme elle ne savait pas qu’elle devait tendre la main la première, elle s’immobilisa, les bras ballants.

Le père Plit et ses quatre fils contemplaient cette scène. Un des garçons murmura :

— Il a l’air d’un prince russe…

Un autre ajouta :

— …Qui serait chauffeur de taxi.

Gérard s’assit, un peu gêné par l’atmosphère de curiosité qui l’environnait. Plit clignait de l’œil en ayant l’air de dire :

— Je vous avais prévenus que je vous amènerais un chic type…

Il montra l’ouvrage d’art construit par son bisaïeul, alors qu’il était compagnon. C’était une ciselure si merveilleusement ajourée que Gérard l’admira sincèrement.

Il parlait sans élever la voix, avec des termes justes. Il s’adressait à chacun et avait un mot aimable pour tous. Il n’oubliait pas Mme Plit et lui souriait, comme si elle eût été jolie et en toilette, et non revêtue d’une vilaine jupe de pilou et d’un corsage sans grâce.

Elle était pétrifiée par les attentions qu’il avait pour elle. Décidément, son règne commençait. Après Mathilde qui était si gentille, voici que ce jeune homme s’apercevait aussi de son existence. Ce qui la surprenait également, c’est que Germain, à son insu ou non, copiait Manaut.