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marane la passionnée

— Crois-tu qu’il m’ait trouvé belle ?

Ma mère rit quelque peu et me répondit :

— Comment pourrais-je le savoir ?

— Jeanne de Jilique était brune. Je suis blonde. Un homme peut-il aimer deux genres de femme différents ?

La gaîté de maman augmenta :

— Quelle question ! Je ne crois pas que la nuance de cheveux puisse avoir une influence. Plaire, c’est répondre à un attrait. Peut-être n’a-t-il même pas vu que tu étais blonde.

— Pourtant, Rasco et Sidra ont empoigné mes tresses.

— C’est un comble ! Il a dû être tellement ahuri que je suis certaine qu’il a pris tes nattes pour deux cordes qui entouraient ton cou !

Je fus vexée et je criai :

— Je suis fière de mes cheveux ! Je veux qu’il les ait admirés.

— Quelle prétention, se moqua maman.

Je devenais malheureuse. L’ironie de ma mère m’exas pérait. J’aurais voulu que M. de Nadière frappât à notre porte.

Cette soirée de mai me parut une des plus longues de ma vie. Je tournais comme un écureuil. J’allais dans le jardin, je rentrais. Je posais une question à ma mère, et je n’écoutais pas sa réponse.

Je me voyais déjà mariée, et je me demandais où nous habiterions. J’évoquais le visage de mon frère à l’annonce de mes fiançailles. J’éprouvais une joie débordante en pensant que, moi aussi, je pourrais lui vanter mon fiancé, qui serait enfin l’ami rêvé.

Tout ce qui passait à portée de mon esprit retenait mon attention et tout me paraissait futile.

— Maman, il est d’usage, n’est-ce pas, que les jeunes mariés fassent un voyage sitôt après leur mariage ?

— Oui, c’est une coutume.

— Je trouve cela idiot, et je ne me conformerai pas à cette coutume. Avant de voyager avec mon mari, je veux d’abord apprendre à le bien connaître. En supposant qu’il n’aime pas plus que moi les hôtels, nous nous forcerions,