Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/353

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l’objet, elle comprit aisément les motifs de sa conduite. Tant de délicatesse le lui rendit plus cher encore, et fit naître dans son cœur les deux sentiments qu’un amant doit souhaiter davantage d’inspirer à sa maîtresse, l’estime et la pitié. Eh ! quelle femme seroit assez rigide pour l’en blâmer ? qui oseroit lui faire un crime de plaindre des maux qu’elle avoit causés, d’estimer l’infortuné qui, par un dévouement héroïque, s’efforçoit d’étouffer la flamme dont il étoit consumé, semblable à ce généreux enfant de Sparte qui se laissoit dévorer par sa proie, plutôt que d’avouer son larcin ? Ainsi, la réserve de Jones, son silence, sa froideur, le soin qu’il prenoit de l’éviter, étoient aux yeux de Sophie les preuves les plus fortes, les plus touchantes qu’il pût lui donner de son amour. Bientôt elle éprouva pour lui tous les sentiments qui peuvent s’allier avec le devoir, dans l’ame d’une femme tendre et vertueuse, l’estime, la reconnoissance, la pitié, l’admiration… Enfin, bientôt elle aima Jones éperdûment.

Un jour, nos deux amants se rencontrèrent dans le parc, au détour de deux allées qui aboutissoient au canal où Jones avoit failli autrefois de se noyer, pour rattraper l’oiseau chéri de Sophie. Elle dirigeoit depuis peu ses promenades vers cet endroit ; elle y venoit rêver avec un mélange de plaisir et de peine, à un accident qui, tout léger