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avoit conçues pour sa vertu, Susanne crut devoir la rassurer, en lui jurant qu’elle avoit vu M. Jones sauter hors de son lit.

À ces mots, l’hôtesse entra dans une violente colère. « La belle histoire que vous nous contez là ! dit-elle. S’avise-t-on, en pareille circonstance, de se trahir soi-même par des cris ? Je voudrois bien savoir quelle meilleure preuve une femme peut donner de sa vertu, que de jeter les hauts cris, comme vingt personnes attesteront que cette dame l’a fait ? Gardez-vous désormais, mademoiselle, de tenir de semblables propos sur le compte de mes hôtes. Ces calomnies ne nuiroient pas moins à ma maison qu’à eux-mêmes. On ne loge ici ni coureuses, ni vagabonds.

— Fort bien, dit Susanne, en ce cas il ne faut donc pas en croire ses yeux ?

— Non certes, il ne le faut pas toujours, répartit l’hôtesse. Je n’en croirois point les miens, contre de si braves gens. Je n’ai pas servi, depuis six mois, un meilleur souper que celui qu’ils m’ont commandé hier au soir. Ils étoient de si bonne humeur, si accommodants, qu’ils n’ont rien trouvé à redire à mon poiré du Worcestershire que j’ai fait passer pour du champagne ; et sûrement il a aussi bon goût, il est aussi bienfaisant que le meilleur champagne du royaume, sans quoi je ne me serois pas permis de leur donner