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Des critiques tirent argument de l’épitaphe de Hubert pour proclamer la supériorité de l’aîné ; ils perdent de vue l’épitaphe du cadet. La faveur de Philippe le Bon accompagna le maître au delà de la vie et j’ai déjà dit que la fille de Jean reçut de Monseigneur la dote nécessaire à son entrée au couvent de Maesyck en 1448-49 — huit ans par conséquent après la mort de son père. C’est donc avec quelque raison que Lucas de Heere écrit :

À bon droit toute sa vie, Jean fut cher
Au noble comte Philippe et fidèle à son gracieux maître
Qui le tenait en haute estime, et se plaisait
A l’envisager comme l’ornement de la Néerlande[1].


et Van Mander n’est pas si loin de la vérité quand il dit de son côté que Jean « à cause de son mérite artistique et de ses vastes connaissances » devint le conseiller intime du duc, — le peintre n’eut-il point mérité ce titre pour ses voyages secrets ? — et que Philippe le Bon prenait plaisir à avoir l’artiste près de lui « comme Alexandre le Grand chérissait l’illustre Apelle ».

Jamais affection fut-elle plus légitime ? Jean Van Eyck ne fut-il pas l’un des maîtres les plus variés et les plus puissants de tous les temps ? Aucun problème de son art ne le laissait indifférent. Quelle fut exactement sa part d’invention dans la technique de la peinture à l’huile ? On ne sait ; mais à voir ses chefs-d’œuvre on peut l’estimer considérable. Il surveilla les travaux des miniaturistes de Philippe le Bon[2] ; en 1433 il étoffa de couleurs six statues ornant les façades de l’hôtel de ville de Bruges[3]. D’anciens biographes nous assurent qu’il perfectionna l’art du vitrail en empêchant la matière colorante de pénétrer dans l’épaisseur du verre par un coup de feu dirigé à propos[4]. Et nous pouvons croire Van Mander quand il affirme que ses dessins étaient de la plus grande perfection : souvenons-nous de l’étude pour le Cardinal Albergati et souvenons-nous aussi de l’inimitable Sainte Barbe. Génie multiple et sûr, diplomate, portraitiste, paysagiste, peintre de genre, architecturiste, miniaturiste, étoffeur de statues, géographe, ingénieur, peignant les foules, les villes, la Vierge, les anges, les saints, les seigneurs, les bourgeois, les manants, Jean Van Eyck restait comme tous les maîtres du XIVe siècle, le parfait artisan, amoureux de

  1. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 36.
  2. De la Borde, op. cit. T. I., p. 358.
  3. Weale. Guide de Bruges.
  4. Cf. Michiels. Peintres Brugeois, op. cit.