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liste imitent deux statues de pierre blanche et fine. Chose curieuse et qui montre à quel point les Van Eyck méritent de figurer dans l’histoire de la Renaissance : il y a des réminiscences antiques dans ces figures, — Michiels en a, Je crois, fait le premier la remarque[1] et l’on croit distinguer des souvenirs de quelque Esculape dans le Précurseur et de quelque Apollon dans l’Evangéliste. L’antiquité commençait à préoccuper le monde entier ; nous avons vu que l’épitaphe de Jean Van Eyck cite Phidias, Apelle, Polyclète, et bien avant cela la sainte Catherine de Courtrai laissait entendre des accents classiques. Mais une tendresse toute chrétienne anime les grisailles du Retable et la nouveauté de leur expression est soulignée par l’effort qu’elles décèlent vers l’illusion picturale, Les figures se détachent à merveille de la niche pleine d’ombre, les inscriptions :

IOHES BAPTA
IOHES EWANTA
semblent vraiment taillées dans le marbre. Nous croyons avoir de vraies statues sous les yeux. Imiter au point de faire illusion : tel est le triomphe de l’art nouveau. Un seul maître y pouvait prétendre avec ces deux grisailles : Jean Van Eyck. N’était-il point familiarisé avec la sculpture, ayant étoffé des statues ? Et peintre réaliste jusqu’à la violence, ce qui l’attirait le plus sans doute dans l’art sculptural de son temps ce n’était point le naturalisme de l’école de Bourgogne, mais par une contradiction bien humaine, la tradition de grâce et de noblesse qui se perpétua dans les ateliers belges jusqu’à la fin du XIVe siècle.

Obtenant à ce point l’illusion du réel avec la pierre morte, à quel degré ne devait-il pas réussir avec les êtres vivants ?

Judocus Vydt est représenté avec ses moindres cheveux, rides, plissures, veines, ses paupières sans cils, le regard timide de ses yeux gris, avec toutes les petites gerçures de ses lèvres exsangues, les volutes de son oreille qui est lourde mais si individuelle ; Isabelle Borluut montre un visage masculin, largement taillé, peu séduisant, adouci par la coiffe de tulle et qu’un beau jeu de lumière enveloppe en partie d’une pénombre délicate. Jean seul était capable de peindre de tels portraits. On dit que l’expression personnelle fait défaut à ces deux donateurs, que malgré les couleurs de leurs vêtements et de leurs chairs ils ont l’air de statues comme les deux grisailles, Mais une expression devait dominer ici tout sentiment, toute passion individuelle : la foi. On conviendra que Judocus Vydt et sa femme, si sim-

  1. Les Peintres Brugeois 1846. p. 49.