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Ingénieuses suppositions, amusantes à enregistrer, mais fondées sur de pures légendes…[1]. Il est certain toutefois que Jean Van Eyck est l’auteur de cette Annonciation. Style des figures, charme profond des intérieurs, sentiment de la vie des choses : tout nous parle de son génie.

Au-dessus de l’Ange, le prophète Zacharie est un vieillard grisonnant, coiffé d’un bonnet bleu, vêtu d’un manteau vert doublé d’hermine. Le doigt posé sur son livre déployé, il montre les paroles annonciatrices qu’on lit sur son phylactère : « Exulta satis filia Syon iubila, ecce Rex tuus venit. IX. » — Sois dans l’exaltation, fille de Sion, jubile, voici que ton Roi vient[2]. »

Le prophète Michée, au visage ridé, à la barbe et aux cheveux touffus, incline sa tête vers Marie ; il a fermé son livre et mis un signet, là où sa prophétie dit les paroles de l’inscription : « De te egredietur qui sit dominator in Israël. » — « De toi sortira celui qui sera le maître d’Israël[3]. »

Les deux sibylles sont très individualisées et coiffées à l’orientale. La sibylle de Cumes — turban bordé de perles, corsage bleu brodé d’or, voile retombant semble s’incliner devant les paroles de Michée. On lit sur sa banderole : « Rex adveniet per secla futurus, scilicet in carne. » — « Il viendra ton roi qui sera pendant les siècles, à savoir dans la chair. » Ce texte reproduit presque littéralement le second des vingt-sept vers cités par saint Augustin dans son De Civitate Dei[4] :

E coelo rex adveniet per secla futurus.

Ces vers, à ce que dit saint Augustin, sont une version du grec par un certain Flaccianus ; en tout cas, le passage cité en vers latins par l’auteur de la Cité de Dieu faisait certainement partie du texte grec original des Oracula Sibyllina[5] (5). La popularité des vers en question fut très grande au moyen âge[6] ; il n’est donc pas surprenant que les Van Eyck les aient connus. Il y a plus. La prophétie de la sibylle est associée par eux au Mystère de l’Annonciation. Ce n’était pas un fait nouveau dans l’histoire de l’art. Au portail de la cathédrale de Laon, la sibylle se trouve également

  1. Les arguments de ceux qui reconnaissent une vue de Gand dans les deux revers d’Adam et Ève ont été résumés en dernier lieu dans la Flandre libérale du samedi 9 juillet 1904.
  2. Zacharie, ch. IX, verset 9.
  3. Michée, ch. V, verset 2.
  4. Lib. XVIII, cap. 23 (Migne. Patrologie latine, t. XLI, col. 579.)
  5. Ce sont les vers 217-260 du Livre VIII, voir l’édition récente de Joh. Geffcken, Die oracula sibyllina, Leipzig, 1902, p. 153, 157.
  6. Cf. E. Sackur, Sibyllinische Texte, p. 187.