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et nous transportent par de là les régions terrestres. Marie incline le front vers son missel ; sa beauté a la robustesse sculpturale que nous lui avons vue dans l’Annonciation de l’extérieur, mais dégagée à présent de l’émoi qui la faisait frissonner à l’approche de Gabriel ; Jean-Baptiste avec son visage infiniment compatissant, inculte et profond, est l’une des plus impressionnantes créations de l’art ; un souffle sort de ses lèvres ; des mots parlent dans ses yeux… Le Très Haut est enveloppé d’une majesté juvénile et immortelle ; il est tendre et grave, doux et ferme ; sa voix sonnera comme le tonnerre ou les harpes… Mais qui donc a exprimé cette opinion, répétée sans cesse par la critique, que ces incarnations célestes conservaient quelque chose de la raideur et du hiératisme byzantins ? Certes leurs attitudes s’enferment dans la rigueur des gestes rituels ; mais les personnages sont d’une largeur d’expression et d’exécution sans précédent. Ce n’est point sans raison que Dürer les admirait spécialement ; l’harmonie inaltérable des manteaux — rouge, bleu, vert — qui chante et gronde sur presque toute la surface de ces panneaux supérieurs est de la plus puissante audace. En accordant à Hubert la gloire d’avoir conçu et dessiné ces figures, — et c’est une concession qu’il est difficile de refuser à l’opinion traditionnelle — il faut reconnaître aussi qu’un seul peintre pouvait modeler de la sorte ces vêtements, ce visage de Marie, déployer un tel faste de couleurs, c’est Jean Van Eyck.

Les Anges chanteurs, dit Van Mander, — qui répète ici Lucas de Heere — sont peints avec tant d’art « qu’on sait, en les considérant, lequel tient la dominante, la haute-contre, le ténor et la basse[1]. » Les expressions du vieux chroniqueur sont inexactes ; il n’y a point ici de haute-contre, de ténor, ni de basse ; il ne saurait être question que de soprano et de contralto ; mais il est juste de constater la vérité avec laquelle les différents registres des voix enfantines sont traduits par le jeu musculaire du visage. Les premiers-dessus, fronts plissés, lèvres tendues, masques contractés dans l’effort qu’exige la note aiguë, sont à droite de l’auditeur ; à gauche sont les voix graves, — visage calme, lèvre inférieure baissée, menton rentrant légèrement dans le cou[2]. Et tandis que sept des anges se livrent de tout

  1. Livre des peintres, éd. Hymans p. 31.
  2. Nous sommes absolument de l’avis d’Ambros sur se point (Geschichte der Musik, t. III, Introduction Die Zeit der Niederlander.) Les anges chanteurs, dit-il, offrent « les caractères très apparents des deux genres de voix : aiguë et grave  ». Il ajoute, ce qui est plus hardi : « Ce n’est pas à un contre-point improvisé que se livrent ces anges, mais bien à l’exécution d’une musique figurée. Le premier des chantres bat la mesure en élevant et en abaissant la main droite. »