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Des idées nouvelles surgissent vers 1375. Une génération paraît, qui brise les moules des maîtres maniéristes et idéalistes. Des imagiers tournaisiens en qui Waagen voit trop complaisamment les précurseurs des Van Eyck, taillent des portraits de donateurs, lourds, barbares, savoureux. Le plus ancien de ces monuments est au musée d’Arras ; il remonte à l’année 1375 environ ; on y voit notamment l’effigie pesante et vraie de maître Jean du Pluvinage. Puis tout un groupe de sculpteurs de retables entre en ligne, épris de vie réelle et populaire. Ils mêlent les scènes familières au sujets sacrés et annoncent les francs conteurs de l’art flamand. Leur chef d’œuvre est le retable de Haekendover près de Tirlemont. Il n’en reste que des statuettes isolées et quelques petits groupes. On a reconstitué l’ensemble avec plus ou moins d’exactitude. Malgré d’évidentes erreurs, on y lit clairement le génie de l’imagier. Le retable



Les Trois Vierges
Fragment du Retable de Haekendover, près de Tirlemont. Statuettes en bois. Fin du XIVe siècle.
représente « la fondation miraculeuse du sanctuaire de Haekendover et l’histoire de trois vierges qui firent construire successivement trois églises, que les anges détruisaient l’une après l’autre pour éprouver la foi des pieuses filles. »[1] Si les statuettes de Dieu le père, des saints et des saintes gardent comme un accent d’atelier dans leur excellente facture, que dire par contre de la bonhomie, de la justesse expressive, de l’observation finaude répandues dans les groupes qui narrent la légende ! Des maçons gâchent le mortier, montent et scellent les pierres, reçoivent leur paye ; on se croirait sur le chantier. La sainte Barbe de Jean van Eyck au musée d’Anvers, avec sa tour gothique en construction verra reparaître ces figurines vivantes. Et les trois Vierges de Haekendover, tantôt mêlées aux hommes de métier, tantôt seules et implorant le ciel à genoux, très gracieuses avec leurs robes sans atours, leurs visages modestes, sont les ainées des petites bourgeoises ingénues en qui nos « primitifs » résumaient l’éternel féminin.

À vrai dire cette fraicheur et cette spontanéité d’expression sont rares

  1. R. Kœchlin, op. c. p. 37.